lundi 28 février 2011

Les Contes du Chaos, ZONE LIBRE VS CASEY & B.JAMES, Intervalle Triton, 31 janvier 2011 (Par Gagoun)



       Ce mois de février a été marqué par la sortie des nouveaux albums de deux des ambassadeurs les plus médiatisés de la scène rock plus ou moins indépendante : les excellents Let England Shake de PJ Harvey et The Kings Of Limbs de Radiohead. C'est pourquoi j'ai décidé de vous parler de... Zone Libre! (saperlipopette l'effet n'a pas marché, c'est marqué au dessus...). Bref toujours est-il que vous trouverez bien assez de chroniques et de discussions enflammées sur les forums du monde entier au sujet de ces deux très bonnes galettes.

       Plus sérieusement, si j'ai choisi le deuxième album du collectif rap français/noise/rock indé, c'est parce que celui-ci m'a agréablement surpris, moi qui ne suis pas d'habitude sensible au flow de nos rappeurs nationaux. Souvent plus pertinent que ces derniers, moins stéréotypés que les habituelles fusions hip-hop/rock, le groupe nous propose une oeuvre noire, parfois violente, entre électricité noisy et poésie crue.

       Tout d'abord, une rapide présentation du collectif s'impose : Zone Libre, c'est avant tout un groupe de free rock/rock instrumental français composé de l'ancien guitariste de Noir Désir et d'Interzone Serge Teyssot-Gay, d'un autre gratteux, Marc Sens (qui a notamment joué avec Yann Tiersen) et du batteur Cyril Bilbeaud (Ex Sloy, très bon groupe des années 90, enregistré notamment par Monsieur Steve Albini, pour vous situer le contexte...). Dans cette formule ils sortent un premier album en 2007 intitulé Faites vibrer la chair. Puis la rencontre avec les rappeurs Casey (collectif rap français Anfalsh) et Hamé (La Rumeur) débouche sur L'Angle Mort, paru en 2009. Deux ans plus tard, B.James, également rappeur d'Anfalsh, remplace au pied levé Hamé pour donner la réplique à sa comparse dans ces Contes du Chaos.

       Vous me suivez toujours? Les membres sont des habitués de la scène underground française. Ici pas de textes légers, ni de musique proprette. C'est crade, ça sent le soufre, les textes sont crus mais toujours dans une veine poétique, les flows sont agressifs, le groove et les riffs, bien présents mais dans une certaine lourdeur.Oubliez l'espace d'un instant vos albums de Cypress Hill, Rage Against The Machine (RATM pour les intimes) ou des Beastie Boys car ceci est de la fusion mais rien qui n'ait été déjà fait.

       Contrairement à l'album précédent, les flows de B.James (grave et posé, toujours) et Casey (agressif, la demoiselle crachant toute sa hargne et son venin) se complètent parfaitement et son adroitement mis en musique par les trois compères, une batterie réduite à son minimum vital, groove oblige, et deux guitares, dont une baryton, qui balancent des riffs infernaux, d'une efficacité sans faille et des ambiances/solo noisy à coup de fuzz et distorsions en tout genres. A noter le style reconnaissable entre milles du grand Serge, qui a su créer son propre son avec le temps, avec toujours plus d'inventivité. La production, quant à elle, est directe, sans fioritures et rend grâce à ce son lourd et groovy à la fois, qui contraste avec le son "cheap" du précédent album.

       Côté émotions, ce disque vous en procurera à coup sûr! Vous aimez vous défouler en écoutant un bon vieux RATM à fond les ballons au volant de votre voiture? Cette petite tuerie est faite pour vous. Et en plus on comprends les paroles, pauvres francophones que nous sommes... Tiens le propos, parlons-en! Réaliste, percutant, ils s'adressent aux écorchés vif et à une France endormie. Des bouts de vie nous sont contés. Pleines de rage, de noirceur mais jamais de désespoir, les paroles nous interpellent, nous incitent à ouvrir les yeux, à nous rebeller, à nous révolter. Un écho troublant à ce qui se passe actuellement dans le monde (certes je suis peut-être légèrement influencé par le discours du fou Kadhafi que j'écoute en même temps que je rédige cette chronique...). Les thématiques de la banlieue, de la désillusion envers les politiques, des inégalités, de la fièvre des banlieues sont récurrentes et pas nouvelles me direz vous. Mais elles sont évoquées avec tant de force et de sincérité, qu'elles feraient frémir n'importe quel patron de PME. Ecoutez par exemple le superbe ''Carnet de ma cage'', véritable pièce centrale de l'album, ou encore le terrifiant ''Aiguise moi ça'' et vous comprendrez la force de leurs mots. En plus d'être un disque musicalement réussi, ce dernier est donc aussi éminemment d'actualité, ancré dans son époque.


       Un album à part dans le paysage musical français et qui ne s'impose aucune barrière de création et de langage. Un exutoire à lui tout seul. A écouter à fond, au casque dans la rue commerçante du Touquet Paris/Plage par exemple, vous verrez, ça fait un choc...


Gagoun

Les contes du chaos en trois mots : noir, désolant, jouissif


Le clip de la mort qui tue d' "Aiguise moi ça" : http://www.youtube.com/watch?v=Uj2RpfYeofk

Si vous aimez cet album vous aimerez peut-être : 

  • L'Angle Mort, ZONE LIBRE, HAME, CASEY, La Rumeur Records/T-Rec, 2009 : Premier album du combo sous cet formule, celui-ci est peut-être légèrement moins réussi que son successeur, faute à une production moins percutante et un ensemble légèrement moins cohérent, mais il reste tout de même un très bon album, dans la même veine et donc unique en son genre.

  • Vu d'ici, PSYKICK LYRIKAH, Idwet, 2008 : excellente surprise que cet album! Très bien conçu, il utilise à merveille les machines, les guitares, basses et autres instruments classiques. Les compositions du MC Arm s’enchaînent finement, entre passages instrumentaux, voire classiques, ambiances planantes et beats plus conformes aux oreilles des habitués. Les paroles sont quant à elles joliment posées, très fluides. Dans un autre style que nos amis Zone Libre & Co, Psykick Lyrikah rend donc joliment hommage à la fusion des genres. A noter le superbe duo ou featuring (selon les sensibilités) avec Dominique A et l'instrumental ''L'Eclair'', tout en tension et en progression.

  • Rage Against The Machine, RAGE AGAINST THE MACHINE, EPIC, 1992 : J'y reviens souvent me direz vous et vous aurez raison! Je pourrais citer plein de groupes de fusion hip-hop/rock mais j'adore véritablement cet album. Un classique, une vraie tuerie, un énorme défouloir. LA conception de la fusion outre-Atlantique. Et également un penchant certain pour l'engagement citoyen, pour ne pas dire politique...

Best Of Gloucester County, DANIELSON, Sounds Familyre Records, février 2011 (Par Riton)



       Oui, j'avoue tout! Je plaide coupable! En bon fan de la Danielson Family et non content que ce nouvel album ne sorte chez nous qu'à partir de mars chez Fire Records, je me devais de le pré-commander et ainsi déjà, en tout bonne conscience, pouvoir le savourer. Après maintes et maintes écoutes, il ne faisait aucun doute que cet album serait mon choix du mois.

       Danielson, c'est une grande famille depuis 1994, réunie autour de Daniel Smith (Brother Danielson lorsque celui-ci joue en solo), personnage charimastique à la voix haut perchée. Pour ce Best Of Gloucester County, huitième album, la bande est au complet (avec notamment Elin, la charmante épouse de Daniel), agrémentée d'une tripotée d'invités parmi lesquels Emil Nikolaisen de Serena Maneesh à la guitare (sur "Olympic Portions" et "Havering Above That Hill") et le non moins prestigieux Sufjan Stevens au banjo et au chant (sur tout l'album). Les deux gus étaient d'ailleurs déjà présents sur Ships, le précédent album sorti en 2006.

       Si la plupart du temps je me méfie particulièrement des albums aux multiples featuring, Danielson m'a toujours au contraire conquis. Là où un grand nombre de groupes auraient succombé aux risques du déballage technique et des apparitions les plus convenues (et/ou douteuses), ces messieurs en blouse bleue réussissent parfaitement l'exercice. Ici aucun des musiciens ne se démarque des autres et l'unicité propre aux familles n'est que plus présente. Je serais d'ailleurs bien embêté de devoir identifier telle ou telle intervention, à la minute près, à l'inverse de ce que l'on pourrait faire...au hasard...pour un supergroupe de heavy metal (non je n'ai aucune dent contre ces gens là bien entendu... il en faut).

       Dans l'ensemble, l'album oscille entre pures envolées pop ("Conplementary Dismemberment Insurance", "This Days Is A Loaf", "Grow Up"), perles fantaisistes et enjouées ("Lil Norge", avec la chanteuse suédoise Jens Lekman, "People"s Partay") et moments plus oniriques ("You Sleep Good Now", "Hovering Above That Hill", "Hosanna In The Forest" clôturant les festivités vers des sommets enchanteurs). Le tout se mêle à merveille en un rock fanfare, truffé de cuivres, de percussions et de guitares, auquel la production rend parfaitement justice. Loin des débuts Lo-fi minimalistes initiés par A Prayer For Every Hour en 1994, Best Of Gloucester County se place dans la lignée directe de Ships, dans lequel le goût pour les orchestrations fines avait commencé à se faire sentir.

       Bienvenue à Gloucester County! C'est ce que semble nous dire cet album, de la pochette haute en couleurs aux compositions. Prenons-nous par la main! Allons chanter ensemble! Non loin de là, une fête foraine... odeurs de barbe à papa, rires enfantins...on jubile! Ce huitième album de Danielson est un avant-goût de printemps en hiver... comme-ci le dérèglement climatique avait aussi touché les sphères musicales.

Riton

Best Of Gloucester County en trois mots : joyeux, régressif, grandiose


Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être : 

  • Ships, DANIELSON, Secretly Canadian, 2006 : cet album précède Best Of Gloucester County. Une pléiade d'invités, une toute aussi forte propension à rêver et faire la fête... que dire à part que cet album est indispensable?

  • Yellow House, GRIZZLY BEAR, Warp, 2006 : dans cet album, la pop/folk des brooklyniens n'est pas en reste de belles orchestrations... en un poil plus hypnotique et expérimental que Danielson.

  • Friend Opportunity, DEERHOOF, Kill Rock Stars, 2007 : s'il y avait un panthéon de l'indie rock regressif, Deerhoof y figurerait à coup sûr...et parmi les premiers. Emmenés par la surprenante Satomi Matsusaki, ils nous donnent avec cette album matière à faire les fous : noisy rock, synthés cheap et onomatopées... tout y est! (même des samples de jeunes chiots fougueux)