jeudi 1 mars 2012

We were Animals, T.E MORRIS, Olynka records / Put Your Back And 2 It, PERFUME GENIUS, Matador Records / http://www.itstartshear.com/, PETER BRODERICK, Bella Union, février 2012 (Par Gagoun)





       Le nouveau cycle d'Her Name is Calla commence par les aspirations solitaires de son talentueux mélodiste et vocaliste T.E Morris. Quoi de plus normal que de voir renaitre les ambiances et couleurs du groupe anglais par la voix de leur âme et chanteur en chef, dans leur plus simple appareil, au plus près de l'os : « We were Animals », l'Homme revenu à l'état sauvage, au commencement du cycle de la vie. Une guitare, une voix, une pièce. Si le mois dernier, Matt Elliott nous emmenait loin vers les contrées balkaniques, Tom Morris, lui, nous ouvre les portes de son univers mélancolique et songeur, très haut vers les cieux, où le silence a autant d'importance que les mélodies solitaires, qui s'entrelacent parfois tout comme cette voix, ces voix brisées et prenantes.

       Le silence est le meilleur ennemi de la solitude. Dans sa folk à lui, Tom transpire la solitude. S'en est troublant. Un lyrisme à fleur de peau, une nature impudique à ce point. Allez-y entrez, venez vous conforter dans l'intimité de son auteur. A moins que ce soit lui qui s'insinue dans mon être, ma noirceur latente, ma solitude en cette nuit de février... Je vous ai déjà conté le cycle d'Her Name is Calla en décembre dernier, j'aurais pu vous parler d'autres perles, de la classe éternelle des Tindersticks, des amours de Sharon Van Etten ou encore de la légèreté à tiroirs de Bowerbirds. Mais non je suis irrésistiblement attiré par cette voix qui susurre quelques mots ci et là, s’époumone sur ''Widow'', s'emporte sur ''Survivor Guilt'', se montre inquiétante et hypnotique sur ''Blood Collects'' ou encore résignée sur ''Water''. Ces mélodies si particulières sont toujours présentes, acoustiques cette fois-ci mais dégageant la même mélancolie électrique qu'au sein de son groupe phare. Les ambiances nous imprègnent comme autant de lieux où ces bijoux ont été enregistrés, on imagine chez lui tard le soir. Salon, chambre, une réverbe naturelle par ici, une voix plus proche de notre oreille par là, un craquement, un souffle... Car le silence implique aussi cette attention portée à la moindre respiration, au plus près du frottement des cordes. Le son de cette œuvre vit. Le silence n'a jamais été aussi lourd de sens. Le bruit du silence. La marque de fabrique de Mark Hollis et son Talk Talk des grandes heures. Laissez vous bercer par ce conteur triste qu'est Tom Morris. Laissez vous envahir par cette mélancolie cathartique qui existe en chacun de nous et qui nous tend les bras la nuit tombée...

       Au final ce n'est pas encore cette fois-ci que je vous parlerais de LA révolution musicale de ces dernières années. Mais l'important n'est pas là. Seul le ressenti de l'écoute d'une musique importe. Ne pas tricher, ne pas se mentir, ne pas vous mentir... De la folk, de la pop, des chansons, des mots. L'émotion qui se dégage de cet album, fait maison et sorti très discrètement, est réellement prenante, envoûtante. Si j'aime à vous parler de ces auteurs solitaires et noirs ces temps-ci, c'est parce qu'ils révèlent un état d'esprit, une saison aussi. Il est bon parfois de trouver dans la musique, un exutoire de l'âme et T.E Morris le fait très bien. En attendant l'éclaircie...

       Elle viendra peut-être de Mike Hadreas, alias Perfume Genius. Une éclaircie discrète, une mue lente par rapport à son prédécesseur, Learning, mais une beauté simple, presque enfantine, teintée de mélancolie et de lumière. Voici que déboule Put Your Back N 2 It dans mon quotidien. Si les mélodies de Tom Morris s'articulent exclusivement autour de sa guitare, celles du jeune natif de Seattle se font et se défont essentiellement à partir de son très cher piano. Encore un artiste seul qui bricole chez lui. Mais aussi un artiste qui s'ouvre peu à peu au monde extérieur : quelques batteries, guitares et autres chœurs viennent nuancer ces piécettes allant à l'essentiel et s’enchaînant parfaitement de sorte à ce que le temps nous paraisse léger.

       Mike chante aussi ses souffrances, ses amours androgynes, le rejet de l'autre, sa quête d'identité, celle qui anime ou hante tout un chacun, tout au long de sa vie parfois. L'esthétique de Perfume Genius est troublante, elle nous rappelle que l'homme et la femme sont des concepts, des genres constitués par notre société, que le corps et l'âme ne sont pas toujours en accord avec la norme. La norme, c'est ce que la morale réprouve, la norme c'est Youtube qui, au beau milieu d'une toile clamant sa liberté de ton et d'expression haut et fort, censure un temps le clip de la magnifique "Hood" pour les motifs suivants : "not family safe" and "promoting mature sexual themes" (je vous laisse le soin de traduire par vous même...).

       Vous l'aurez compris, les chansons de Perfume Genius sont finalement faussement naïves, profondes et graves, de part les thèmes qu'elles abordent et les réactions qu'elles suscitent. Elles questionnent autant qu'elles ne touchent. Si ces mots souffrent, traduisent aussi une certaine solitude, pas la solitude dépressive et autocentrée d'un Tom Morris, mais plutôt le sentiment d'être en décalage avec le monde dans lequel nous vivons, ces mélodies, elles, sont lumineuses, simples, justes belles et possèdent quelque chose d'universel qui met son art à la portée de tout un chacun, sans discrimination, sans jugement de valeur. Ces sensations nous rappellent la candeur d'un Daniel Johnston ou l'évidence d'un Peter Silberman.

       Même au milieu de milliers gens, nous pouvons être terriblement seuls. Mais de la noirceur née souvent la lumière ou du moins l'éclaircie. L'espoir et la persévérance de Mike Hadreas à nous livrer des chansons de pop parfois éthérées, parfois mélodieuses, toujours touchantes et légères, nous le rappelle sans cesse. De la profondeur, de la noirceur certes mais ne jamais oublier cette légèreté que peut nous offrir la vie parfois. Nous devons nous en souvenir, je dois m'en souvenir... En attendant le feu d'artifice, la sérénité...

       http://www.itstartshear.com/: Non, ceci n'est pas le lien par lequel vous pourrez télécharger gratuitement et illégalement le nouvel album de Perfume Genius, « bande de pirates incorrigibles » (dirait certainement notre cher ministre de la culture). Ceci est tout simplement le nom du nouvel album de Peter Broderick. Si vous cliquez sur le lien, vous y trouverez la jaquette et les paroles de ce dernier. Original pour un titre, rigolo pour le geek que je suis, moins drôle pour le responsable du marketing de l'album (si tant est qu'il y en ait un). Mais ce n'est pas le seul intérêt de cet album et heureusement. Vous vous souvenez sans doute des errances de Riton, entre Reykjavik et Berlin en décembre dernier. Et bien revoici l'un des protagonistes de ce doux voyage, en solo cette fois-ci. Un américain solitaire, encore un. Mais pour une autre solitude. Si Tom Morris nous enfermait avec lui dans sa pièce familiale pour nous conter ses histoires sombres, Peter Broderick aime les grands espaces, les étendues désertiques du nord de son pays, fasciné qu'il est aussi par l'Islande et ces vallées à perte de vue, son manteau blanc ou encore Berlin où il se rend souvent. On pense alors à la tranquillité de la forêt noire. Bref ce voyage, Riton vous l'a fort bien raconté précédemment. C'est d'ailleurs dans le studio berlinois de Nils Frahm que cet album a été enregistré, avec l'aide de son compère allemand.

       Exit également les piécettes dépouillées de Perfume Genius. Ici les plages s'étirent, sont riches en pianos, guitares, violons, chœurs et electro légères. Peter ajoute à sa folk, une touche néo-classique rappelant la grande musique à moins que ce ne soit l'inverse. Il faut dire qu'il est doué ce jeune homme. Il rappelle parfois Sufjan Stevens. Il s'invente un monde à lui, rarement entendu ailleurs, entre grandiloquence classique et folk/pop épurée. Même si l'album ne sort pas chez les islandais d'Erased Tapes Records pour une fois, on sent l'influence née de ces rencontres, Nils Frahm bien sûr mais aussi Olafur Arnalds.

       Alors la sérénité se trouve peut-être là, dans cette solitude assumée, ces rencontres ponctuelles (la magnifique ''Bad Words'' chantée en partie dans la langue de Goethe), ces voyages au sein de contrées retirées et ressourçantes. En l'occurrence l'album alterne les superbes morceaux guitares/voix légers et aérée façon ''Blue'' et les longues pièces, tout en retenue parfois, tout en explosion d'autre fois avec ses violons célestes et ces chœurs fervents. ''Asleep'' constitue, à cet égard, un point culminant.

       Et de spiritualité, il en est aussi question ici. Pas de religion, pas de cette spiritualité politique où les enjeux de pouvoir règnent et les guerres inondent nos chaînes d'information. Plutôt une retraite spirituelle, une vision philosophique et apaisée de la vie. La spiritualité au sens large, que vous croyiez en un dieu, en la musique ou en vous, la spiritualité dans ce qu'elle a de plus tolérante, honorable. Moi qui suis athée, je suis toujours fasciné par la puissance émotionnelle des musiques spirituelles. Car les deux vont de paire. Et dans cet album, Peter Broderick amène subtilement cette dimension. Une autre clef de la sérénité?

       Ce mois de février fut donc l'occasion d'un cheminement, de la noirceur vers la lumière. De la solitude toujours, illustrée en musique. Trois auteurs solitaires, trois bouts de vie, trois solitudes différentes. Il fut aussi l'occasion de faire le point sur la musique qui nous anime ces derniers temps, Riton comme moi-même. Alors pas de suggestions d'albums cette fois-ci (ah non !! Moi feignant?!!?). Je pense juste que je vous ai offert assez de pistes pour quelques semaines et que ce récit est assez dense pour ne pas vous en rajouter. Je me permettrais toutefois de vous faire part d'un dernier album paru en ce mois : Mr M des légendaires Lambchop. Au delà de la classe et de la beauté noir qu'il dégage, cet album est aussi un hommage au regretté Vic Chesnutt, un homme meurtri dans sa chair, devenu solitaire par les aléas de la vie, un artiste infiniment touchant qui s'en est allé bien trop tôt, il y a un peu plus de deux ans. Un vide laissé pour les deux amoureux de l'artiste que nous sommes, Riton et moi. Une manière de faire revivre sa folk décharnée et à fleur de peau l'espace d'un instant. North Star Deserter restera à jamais un hymne à cette folk solitaire. En attendant les amours de Sharon, en attendant le printemps...

Gagoun

We were animals en trois mots : solitaire, silencieux, folk

Put Your Back N 2 It en trois mots : solitaire, profond, léger

http://www.itstartshear.com/ en trois mots : solitaire, aéré, spirituel

L'album de Tom Morris est en écoute intégrale sur bandcamp : http://olynkarecords.bandcamp.com/album/we-were-animals

L'album de Perfume Genius est en écoute intégrale sur deezer : http://www.deezer.com/fr/music/perfume-genius/put-your-back-n-2-it-1491485

L'album de Peter Broderick est en écoute intégrale sur deezer :

The Megaphonic Thrift, THE MEGAPHONIC THRIFT, Club AC 30, Février 2012 (Par Riton)



       Je n'ai jamais joué au tiercé (je suis foncièrement contre les jeux d'argent...) mais j'aurais parié gros sur The Megaphonic Thrift s'ils avaient été un cheval... lorsque je les ai découverts, un peu au hasard de cyber-excursions, à la sortie de leur premier album Decay Decoy en 2010. Pourtant The Megaphonic Thrift avait tout de l'énième clone de Sonic Youth, à vue d'oeil (une demoiselle – mais qui ne s'appelle pas Kim – à la basse et des messieurs aux autres postes) et à "ouïe d'oreille" (un amour évident de gros son rock à la fois maitrisé et en roue libre). Malgré cela, j'en aurais mangé mon chapeau : ce groupe allait faire parler de lui dans les mois suivants.


       Il aura quand même fallu attendre un peu plus d'un an pour commencer à entendre ne serait-ce que timidement discuter à propos du quartet norvégien dans nos contrées. Et c'est en première partie de Pinback, chez nos amis flamands, que la chose s'est produite : un show explosif contre toutes attentes en mesure de confirmer mes premières impressions et convaincre les quelques sceptiques saoulés de mon habituel prosélitisme ("si si, je t'assure ça va être bien!!")... un mur de grattes vintage larsenisantes (Fender Jazzmaster et Mustang... Rickenbacker... que de bon goût), noise rock, pop songs, shoegaze, crescendo en intensité, fleurtant même brièvement en final avec des rythmiques plus couillues de type blast beats, comme autant de réminiscences nordiques (Norvège, terre du black metal etc. etc. on connait la chanson... en même temps si on se rappelle bien Steve Shelley le faisait aussi avec Sonic Youth... le morceau "Theresa's Sound World" offrant un bel exemple). Une de mes plus grosses claques scéniques de 2011, en dehors de Pinback bien sûr!


       Autant dire que pour ce deuxième album, je les attendais au tournant! Mais pas du genre ennemi prêt à dégainer du croche-pied au moindre faux pas... plutôt les bras ouverts, accueillant, ne laissant que très peu de place à la méfiance dès les premières notes de l'éponyme. Accorde ton esprit et laisse toi aller comme à l'âge d'or de l'indie rock US : il y a de quoi ici s'amuser comme un grand enfant, se déchainer à mimer les leads de guitare comme j'avais déjà pu le faire sur le magistral "Talk Like a Weed King" de Decay Decoy. La puissance live semble avoir laissé des traces indélébiles sur la production, aux petits oignons, plus hargneuse sans trop déborder, le juste dosage... Juste dosage également côté composition : joli numéro de funambule avec de part et d'autre de leur rock une volonté de faire du bruit et de belles choses.


       Certes rien de nouveau mais certainement pas qu'une simple resucée de nineties! Au dela de leur spécificité géographique, The Megaphonic Thrift propose un son qui leur est propre et se permettent par la même occasion de dépoussièrer un genre pas si vieux mais relativement statique. En fait ils auraient carrément du s'appeler The Megaphonic Sweep!


Riton

The Megaphonic Thrift en trois mots : rock, noisy, accrocheur


Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être : 

  • Decay DecoyTHE MEGAPHONIC THRIFT, Hype City Recordings, 2011 : Les premiers balbutiements électriques du groupe... un album détonnant contrastant avec le presqu'anonymat dans lequel il est sorti. Dès leurs débuts déjà bien prometteurs!

  • DirtySONIC YOUTH, DGC, 1992 : Il ne fait jamais de mal de conseiller un classique. Dirty est un des albums noise-rock à posséder dans sa collection (avec un tas d'autres disques de Sonic Youth ou autres Jesus Lizard me direz-vous...), bon compromis entre crasse sonore et mélodie... assurémment une des influences de The Megaphonic Thrift. Rendons également hommage à Mike Kenney, artiste "responsable" de la pochette désormais culte, décédé le 31 janvier dernier.

  • Robot WorldBAILTER SPACE, Flying Nun Records/Matador, 1993 : Must have dans le genre mur de son noisy, éthéré et mélancolique. Un classique de l'indie néo-zélandais (Flying Nun inside!) et de l'indie en général et sûrement leur meilleur album!

  • AestheticsMARIBEL, Oslo Grammofon, 2009 : C'est également norvégien, un poil plus sombre et orienté dream-pop mais clairement de la même école que The Megaphonic Thrift. Le hasard faisant bien les choses, ils viennent à peine de ressortir un nouvel album (en début du mois semble t-il), intitulé Reveries. Pour tout avouer je ne connaissais pas du tout ce groupe avant d'écrire cette chronique... sympathique découverte!