samedi 1 septembre 2012

Because I Am Always Talking, CAREFUL, Circle Into Square Records , Août 2012 (Par Gagoun)



       30 minutes... 30 minutes pour s'évader, se construire un petit nid douillet, un cocon empli de rêveries, de fragilité en troubles se muant en une sérénité calme et harmonieuse. Oui, Careful porte bien son nom. L'homme qui se cache derrière ce bijou, Eric Lyndley ressemble à un artisan de la pop de chambre façonnant son diamant encore et encore, y laissant juste quelques aspérités comme autant de traces d'une identité marquée, d'un charme certain, d'un caractère (presque) affirmé. Cette histoire, c'est un peu celle de Sufjan Stevens, de Perfume Genius ou même de Mount Eerie. Alors pourquoi celle-ci plutôt qu'une autre me direz-vous ? Pour rien de spécial je vous répondrais. Juste une affaire de sensibilité, une musique simplement touchante à défaut d'être révolutionnaire, une surprise que je n'attendais pas venant d'un artiste que je ne connaissais pas édité sur le label dont le nom m'était également étranger.

       Ce bel ouvrage est ainsi fait qu'il est emprunt de cette mélancolie qui font les beaux albums. Point de grandiloquence ici bas, juste des mélodies minimalistes, construites principalement autour d'une guitare acoustique et d'une voix cristalline, presque enfantine. Des bribes d'électroniques viennent se greffer délicatement et avec parcimonie grâce à des beats discrets, des chœurs trafiqués, expérimentaux et assumés ou des claviers analogiques. Du faussement tubesque « It's funny » à un ''You love me'' enneigé en passant par la douceur du groove bosselé de « Quite », on s'enferme dans un monde où la dureté du quotidien n'a pas cours, on se replie, on régresse volontiers à l'image des dessins colorés au trait grossi qui viennent recouvrir la froideur de la ville sur la pochette de l'album. Alors certes les paroles sont parfois tristes, mais cette tristesse semble apaisée, adoucie et donc lointaine. Du carillonnant ''I had a kid'' à la ritournelle bricolée ''Frog went a'courting'', on chante, on pleure, on écoute, happés...

       Vous l'aurez compris, qu'est-ce qu'il est bon de retomber en enfance parfois, de se soulager de tout cette pression environnante. Et si la musique permet cet état, Careful représente un de ses secrets les plus précieux, assurément. Because I am always talking... Encore et encore... Pour se protéger de la nuit... A côté d'une lampe de chevet... Juste pour 30 minutes ! Mais quelles jolies minutes ! Et puis recommencer, toujours... Pourvu que l'on s'y perde un peu.

Gagoun

Because I am always talking en trois mots : artisanal, rêveur, enneigé

L'album est en écoute intégrale sur le bandcamp du groupe. Par ici la musique : http://songs.carefulmusic.com/album/because-i-am-always-talking

Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • Oh Light, Careful, Sounds Super Recordings , 2010 : Premier album d'Eric Lyndley découvert à l'occasion de la sortie évoquée ci dessus. On y retrouve les mêmes ingrédients pop, electro légère, folk et cette voix qui vous donne le frisson. Pour le coup, cet album est plus long que son successeur mais s'apprécie de la même manière.

  • Clear Moon, MOUNT EERIE, P.W. Elverum & Sun, 2012 : En attendant la deuxième partie de ce diptyque entamé au début de l'année 2012 et qui s'annonce plus électrique, je voulais vous parler de ce joyau que représente ce premier volet. Phil Elverum y propose une collection de chansons pop à l'orée de l'ambient, voire même du black metal. Son style particulier est toujours là. Mais il est ici magnifié par une production moins lo-fi que d'ordinaire (mais pas plus plate pour autant), une voix d'une intensité rarement égalée (qui n'est pas sans rappeler celle d'Eric Lindley par certaines de ses intonations) et des mélodies extrêmement soignées venant se mêler aux claviers lunaires, aux guitares en clair/obscur et à la rythmique chancelante. Sublime!

  • Typewriter, JOS. FORTIN, Shuffling Feet Records, 2012 : En voici un autre de petit bijou pop/folk jalousement caché et sorti cette année. Ici on ne parle plus de folktronica mais bien de folk pure et dure matinée de mélodies pop et bricolée dans une chambre par nos neuf musiciens canadiens. Parmi ceux-là on compte d'ailleurs des membres d'Evening Hymns que vous avez pu croisé si vous suivez un peu l'actualité du label clermontois Kütü Folk Records et qui sortent ce mois-ci un superbe album au passage. A l'image de Careful, Jos. Fortin nous propose un beau travail d'artisan qui se laisse écouter sans difficultés et qui risque fort de devenir addictif si vous aimez ces musiques boisées, artisanales et un peu enfantines. Une belle découverte!




Life Is People, BILL FAY, Dead Oceans, Août 2012 (Par Riton)



       "Bill Fay tes devoirs!", "Madame, Bill Fay des bétises!"... si Bill Fay avait été français, voilà le genre de petites blagues qu'il aurait pu subir dans son enfance. Heureusement pour lui, Bill Fay est anglais, et heureusement pour nous, Bill Fay de superbes chansons. Mais trêve de pantalonnades et parlons musique!

       Pour tout dire je ne pensais pas voir revenir Bill Fay un jour... je l'imaginais plutôt ermite à la barbe interminable, reclu du monde, animé par le souvenir de ces merveilleux disques de folk-rock majestueux sortis au début des années 70 (l'éponyme premier suivi du culte Time of Last Persecution)... ceux-là même sagement rangés dans ma discographie, au milieu des Kenneth Higney, Simon Finn... Et pourtant les compositions inédites du deuxième disque de Still Some Light (2009) avaient de quoi aiguiller sur un potentiel retour (et sur le retour d'un potentiel immense), laissant la part belle à l'introspection au piano, à la voix sensible et chevrotante, et à une production "maison" plus moderne. Difficile néanmoins d'envisager quelconque évolution lorsqu'un artiste comme Bill Fay est autant associé à une époque, aux sonorités d'instruments craquants sous le poids des bandes, au charme de dispositifs analogiques incontournables (allez trouver autre chose en 1970... autant essayer de boire un coca en terrasse pendant la Renaissance). Et pourtant... au delà de l'aspect sonore, musicalement exit les envolées progressives, focus sur l'essentiel, le calme plutôt que la tempête.

       On retrouve sur Life Is People certains titres de Still Some Light réarrangés (L'ouverture "There Is A Valley", un "City Of Dreams" méconnaissable et débarrassé de sa substance cheap originel et le magnifique et très gospel "Be At Peace With Yourself") offrant d'entrée la tonalité générale de l'album : ensemble de ballades pop épurées, discrètement orchestrées (des cordes, de la batterie, des choeurs...), mélancoliques sans tomber dans l'apitoiement, parfois même enjouées ("This World", sans étonnement très Wilco-esque, puisqu'accompagné de Jeff Tweedy... qui semble-t-il a joué un grand rôle dans le retour de Bill Fay, en l'invitant sur scène). L'ensemble est une plongée intimiste dans l'univers d'un écorché vif, pas épargné par l'insuccès immérité. L'artiste y donne de soi et expose sa foi, religieuse et humaine ("Jesus, Etc", "Thank You Lord"...). Des flots d'émotion brute se déversent sous les doigts de Fay. Décidemment il arrivera toujours à donner le frisson, comme aux premiers instants, notamment ceux de la dernière persécution.

       L'évidence est là, à travers ce disque, qu'à soixante ans passés Bill Fay ce que certains jeunes songwriters ne savent pas encore, ou tout simplement, sans trop médire, laisse parler l'expérience. Respect!

Riton

Life Is People en trois mots : sensible, brillant, frissonnant


Ecouter entièrement cet album : http://www.deezer.com/fr/music/bill-fay/life-is-people-5295191 (ou sur spotify)

Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • Time of the Last Persecution, BILL FAY, Deram, 1971 : Encore aujourd'hui l'album sur lequel repose le culte Bill Fay : cette pochette (et cette trogne de Charles Manson dépité, période Lie: The Love and Terror Cult... Oui, ce Charles Manson là) indissociable des morceaux lumineux et torturés qu'elle recouvre. Je conseille même de l'écouter avant d'écouter quoique ce soit d'autre de Bill Fay, même Life Is People (mais la logique veut que si vous lisiez ceci, vous l'ayez déjà écouté ou au moins lu la chronique... tant pis, on fera avec... à moins que vous ne connaissiez déjà et dans ce cas tout ce que j'aurais écrit n'aurait aucun sens)

  • Pass The Distance, SIMON FINN, Mushroom, 1970 / Through Stones, SIMON FINN, 10 to 1 Records, 2011 : On peut dire que Simon Finn et Bill Fay suivent à peu près le même type de carrière... mesestimés en leur époque et devenus cultes aujourd'hui (Simon Finn aurait été pour sa part, selon la légende, redécouvert par David Tibet de Current 93). D'une extrémité à l'autre de la carrière (de Pass The Distance à Through Stones) l'on passe d'un monument de l'Acid-Folk, déchiré et survolté (avec son inégalable "Jerusalem"), à une musique plus intimiste mais toujours psychédélique et pour le moins sublime. Le plus gros regret ne peut qu'être de l'avoir raté sur sa courte tournée de l'année dernière.

  • ImperfictionED ASKEW, Drag City, 2011 : Encore un drôle de bonhomme ayant commencé sa carrière au début des années 70. Aujourd'hui, on le retrouve sur Drag City avec une folk/Lo-fi toujours aussi crade et touchante. A en croire son bandcamp il est aujourd'hui plus qu'hyperactif, et ça n'est pas plus mal!