Les
zicos qui regardent leurs pompes en jouant se portent bien cette
année. On a des héritiers, des gars qui réinventent le genre comme
True Widow ou Disappears. Et puis on a les papas, les revenants, ceux
que l'on croyait mort avec la décennie 90 et qui réapparaissent
dans notre quotidien musical sans crier gare. On passera sur le
retour de My Bloody Valentine, non pas qu'il soit inintéressant mais
tout a déjà été dit et écrit partout (sauf ici, enfin jusqu'à
maintenant...) et vous avez, et c'est un euphémisme, suffisamment de
matière pour vous faire votre propre idée sur ce nouvel objet de
toutes les médiatisations indé et de toutes les passions. On se
penchera plutôt sur un petit frère plus discret (pas difficile), un
vilain petit canard pourtant infiniment talentueux, créatif et
touchant. Après MBV, c'est donc Medicine, l'un des tous
meilleurs groupes shoegaze nineties, qui revient après 18 ans
d'absence nous proposer ce To The Happy Few étonnant
d'inventivité, là où n'importe quel autre groupe culte se serait
contenté d'appliquer une recette qui a déjà fait ses preuves,
histoire d'assurer le coup pour un retour attendu et épié par tous
les amateurs. Suivez mon regard virtuel... Qu'ont fait tous les
membres de ces groupes ayant fait vœu de silence des années durant
avant de revenir en musique? Sont-ils partis vivre tous
ensemble sur une île déserte ou dans une (grande) cabane au fond de
la forêt amazonienne? Se sont-ils cryogénisés dans une
capsule à l'abri du monde, du temps (et des fans)? Leur
horloge vitale se serait-elle arrêtée soudainement, les laissant là
immobiles, bras ballants pendant que la vie vit sa vie?
Mystère... En tout cas ils sont nombreux, ces groupes à reprendre
les choses là où ils les avaient laissées à l'époque de leur
gloire, comme si rien ne s'était passé entre temps, comme si ils ne
s'étaient pas nourris de leurs expériences de vie, d'écoutes,
ressassant le passé, le « c'était mieux avant ». Pour
le meilleur et pour le pire : il peut être bon parfois de se
lover dans une ambiance, une période, un souvenir. On appelle ça le
revival et il est bien légitime, parfois même excitant, de voir ces
mythes redevenir réalité et se réapproprier leur époque. On a, je
pense, tous des exemples en tête et ce dans tous les styles de
musique.
Alors quand
l'un de ces grand groupes idolâtrés réapparaît pour nous proposer
quelque chose de nouveau, inscrit dans le temps présent tout en
gardant les ingrédients du passé qui en ont fait l'identité, je ne
vous explique pas les dégâts ! Bienvenue en 2013 Medicine! Les chants harmonisés, éthérés, bien en retrait
dans le mix sont toujours là, les murs de guitares fuzzés aussi
mais à petites doses. Car c'est bien là la nouveauté apportée par
ce nouvel album. Si le shoegaze est avant tout un genre dérivé de
la pop, une pop malade, noyée sous les couches de bruit, ici c'est
la mélodie qui reprend le dessus. Comme sur les deux premiers
albums, le son est crade, presque lo fi mais les claviers et la
guitare claire prennent une place plus importante que par le passé.
Une œuvre moins agressive donc avec également une basse, mélodique
et groovy à souhait comme unique repère quand les structures
éclatent, quand la rythmique devient folle... Encore un nouvel
aspect de la musique des américains : là où Medicine
aimait, auparavant, prendre son temps pour installer un tempo, une
ambiance allant jusqu'à étirer ces derniers sur de longues minutes
provocant l'hypnose à coup sûr, le groupe prend désormais un malin
plaisir à désorienter l'auditeur par ces changements de rythmes au
premier abord difficiles et ces structures de chansons complexes,
presque à l'image d'un groupe de math rock. Logique à une époque
où les frontières sont troubles, les repères inexistants, les gens
paumés, les valeurs craquelées, morcelées.
Alors oui
Medicine est bien un groupe de 2013. Il ne renie pas pour autant son
passé, sait appuyer certains passages, certaines textures dream pop
et noisy, ne sacrifie jamais la mélodie au détriment de
l'expérimentation. D'ailleurs les harmonies vocales de Brad Laner et
Beth Thompson sont magnifiques, le talent de composition du groupe
éclate littéralement sur cet album et prouve que Medicine est
avant tout un grand groupe de pop. Qui a dit que les shoegazers
étaient de piètres musiciens cachant leur manque d'inventivité
derrière des murs de sons faciles et sans saveurs? Un bon coup
de pompe au cul ouais!
Gagoun
To
The Happy Few en trois mots : rêveur, déroutant, pop
En
écoute intégrale par ici: http://www.deezer.com/fr/album/6716445
Si
vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :
- Her Highness, Medicine, American recordings, 1995 : Cet album est un must, il est totalement représentatif de l'époque shoegaze longuement évoqué ci-dessus. Le groupe est au top, les guitares sonnent de manière impressionnante et l'ambiance y est magnifiquement hypnotique. Parfait pour les nostalgiques 90's!
- Circumbulation, TRUE WIDOW, Relapse, 2013 : On a failli vous en parler le mois dernier, voici une occasion de nous rattraper! Encore une pépite pour le groupe américain... Du shoegaze oui mais du côté obscur de la force. Si les textures et autres voix éthérées sont bien présentes, elles sont cette fois mises au service d'un stoner doom répétitif et ensorcelant. En tout cas cet album est une beauté noire et épurée à côté de laquelle vous ne pouvez pas passer. Un des très grands crus de cette année 2013.
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