En
mai, fais ce qu'il te plaît! Courir nu sous la pluie, manger avec
les doigts (mais pas les deux en même temps, c'est sale) et même
chroniquer deux albums de plus d'une heure chacun (on avait pas fait
ça depuis octobre 2012). Un double album d'1h15, un ''simple''
d'1h03 (presque 4), ça fait 2h18 (presque 19). Forcément moins long
que l'excellent nouveau Mendelson à lui seul, peu importe le sens
d'écoute ça fait un sacré pavé... Mais on peut se rassurer en se
disant que c'est plus digeste que pour un lecteur d'avaler (et
comprendre) Finegans
Wake
en à peine une semaine ou pour un cinéphile d'organiser une
"soirée" Cure
for Insomnia.
Autant de musique d'un coup ça demande de l'attention, de la
disponibilité, au risque de passer outre... Sauf que pour le coup,
sans vouloir passer pour l'une des figures masochistes du dessus, il
faut simplement reconnaître que le cru des albums élastiques du
moment est tout simplement bluffant (les derniers Witxes, Eluvium et
le Mendelson en témoignent également). Alors quand on tombe sur des
disques aussi bons que ceux-là on s'accroche druement, on persiste.
Il est temps de se laisser faire et de confirmer (pour cette fois) le
vieil adage disant que plus c'est long plus c'est bon.
D'un album à
l'autre l'ennui ne point jamais. Il viendrait presque à se faire
attendre dans ces univers insaisissables tous deux bercés par la
volonté de s'émanciper des genres : Entre Montréal (Drifters)
et Berlin (Love
Is the Devil,
enregistré gratuitement, la nuit, chez Anton Newcombe), Alex
Zhang Hungtai
s’entête
à dépasser l'image trop simpliste de garage rockeur vintage qui lui
colle aux basques (notamment depuis Badlands
en
2011,
à contrario de ses nombreuses collaborations : avec Xiu Xiu,
Ela Orleans, U.S. Girls...), quand Sylvain Bombled, à Besançon,
pousse les envies d'expérimentations vers une electro-nirique bien
loin de ses aspirations punk rock génériques de jeunesse (Second
Rate, Generic, Napoleon Solo...). Des espaces en mouvance, aucunes
frontières, symptômes de musiciens qui sans cesse cherchent à
aller plus loin.
Vintage, la
musique de Dirty Beaches n'en demeure pas moins actuelle, mais elle se situe
ici plus du coté sombre et ultra lo-fi de la force que des
productions gominées d'Hanni El Khatib... plus discret et humble
jusque dans l'attitude de crooner modéré, penché sur son micro à
incanter dans l'écho, léger déhanché (''Casino
Lisboa'') à l'appui. Les quelques décrochements vocaux rockab'
perturbent l’acharnement sonore des boucles de guitare, synthé et
boite à rythme, comme chez Alan Vega et Suicide en leur temps
(repris sans surprise dans ce live
à Bergen) : nervosité doublée paradoxalement de
nonchalance venant préfigurer l'atmosphère évaporée de Love
Is The Devil,
''Au revoir mon visage'' annonçant même une volonté malsaine pour
l'artiste d'effacer ses propres traits... Le temps d'un Landscapes
in the Mist vaporeux,
au saxophone presque plaintif, il disparaît complètement au profit
de la transe ambient, du jazz éthéré et pluvieux de ''Greyhound at
Night'', au synthétique ''Woman'' en passant par le néo-classique
(''Love is The Devil'', ''I Don't Know How to Find My Way Back to
You'' et le final ''Berlin'') et la folk (''Alone in The Danube
River'', et le très beau ''Like the Ocean We Part''). Effectivement
insaisissable... à la complexité déroutante, comme ce premier
Mayerling. On reste en suspension, en sphères rêveuses plus
lumineuses que là ou nous a laissé ce deuxième disque de Dirty
Beaches. Les mots en prose de Fred Debief (qu'on
ne manquera jamais de soutenir) introduisent à merveille le
voyage sur un ''Pure As Gold'' gracile, au ''grenier à notes'' aussi
envoûtant que tout ce qui suivra. Chaque morceau se construit de
petites montées épiques, de progressions qui prennent une dimension
hallucinante (le chant de Sylvain Bombled sur ''Salomon's Ring'', ou
les 17 minutes en roue libre d'effets noisy et du violoncelle de
Sebastien Lemporte sur le morceau titre de conclusion). Persiste au
centre un mécanisme rigoureux (''La Mort n'en saura rien'', ''Shaggy
Shadows''), un froid étrangement confortable (le superbe ''Ghost
River'') : Cut
Up
est le clair-obscur maîtrisé, qui doit autant au kraut, à
l'electronica allemande qu'à une personnalité unique... un vol au
dessus de cités fantômes à la beauté glaciale ou la vision
vertigineuse rappelle les sols du Cycle
d'Escher (au regard de l'artwork signé Bertrand Beal)...
vides... comme le terrain des déambulations d'Alex Zhang
Hungtai... ces villes gigantesques tellement peuplées et pourtant si
froides qu'il, en amoureux de cinéma (Wrong Kar Wai et David Lynch
en tête), se plaît à repeindre : la décadence nocturne
(Night
City)
ou les tournes mélancoliques et rêveuses de The Hippo (2010) ou celles qui venaient tout récemment contrebalancer avec le
délire architectural du Waterpark d'Edmonton au Canada (à faire passer l'Aqualud du
Touquet-Paris-Plage pour une piscine municipale) et aujourd'hui ce
double-album, qui aux cotés du Cut
Up
de Mayerling ne peine à se faire passer pour une vrai-fausse bande
originale.
Voilà donc l'immensité des perspectives qu'offrent ces deux albums qui peinaient à priori à s'entendre et qui finalement
s’accommodent bien. Ce n'était pas si long mais vraiment intense!
Riton
Drifters/Love
Is The Devil et Cut Up en trois mots
: froid, chaleureux, cinématique
Ecouter
Drifters/Love Is The Devil :
http://www.deezer.com/fr/album/6545971
Ecouter
Cut Up sur le site du label :
http://handsinthedarkrecords.tumblr.com/HITD018
Si
vous aimez Drifters/Love Is The Devil, vous aimerez peut-être :
- Badlands, DIRTY BEACHES, Zoo Music , 2011 // Water Park OST, DIRTY BEACHES, A Records , 2013 : Quand d'un coté on se retrouve avec un disque de rock 50's passé à la moulinette lo-fi/noise et de l'autre la bande son planante d'un court métrage sur une institution du parc de loisirs canadien, on ne peut que se rendre compte de l'étendue et de la complexité du talent du taïwanais d'origine!
- U.S. GIRLS ON KRAAK, U.S. GIRLS, (K-RAA-K)³, 2011 : Des allures de cheerleader sous crack pour Megan Remy, amie d'Alex Zhang Hungtai : pop de campus US, electro, noise, bidouilles et son qui crachotte (avec en prime une reprise de haute volée de Brandi et Monica, qui rappelle un peu dans l'esprit la récente reprise de No Scrubs des TLC par Scout Niblett)... dommage qu'elle n'aie pas continué dans cette voie...
Si
vous aimez Cut Up, vous aimerez peut-être :
- Duplex, APPARAT, Shitkatapult, 2003 : Album magique d'electronica allemande, un des plus beaux de Sascha Ring. Écouter des morceaux comme ''Contradiction'' ou ''Wooden'' ne peut en tout cas que renforcer le rapprochement fait auprès de Mayerling.
- Acting Out, JUDITH JUILLERAT, Autoproduction, 2012 : Après un très beau premier album solo (Soliloquy) chez Shitkatapult en 2005 (pas un hasard de la retrouver ici donc, juste en dessous d'Apparat qui plus est), Judith Juillerat, de Besançon comme Mayerling (et Fred Debief aussi), remet le couvert un peu tardivement mais avec une pop froide, électronique et ambient, en chant français et anglais, d'une richesse telle qu'on en redemande déjà!
Que de belles choses par ici :)
RépondreSupprimerEt que de compliments :D
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