jeudi 1 décembre 2011

Metamanoir, DALE COOPER QUARTET & THE DICTAPHONES, Denovali, Novembre 2011 (Par Riton)



       Denovali? Encore Denovali? Oui les amis... et ne comptez pas sur moi pour m'excuser! Denovali est en passe de devenir l'un de mes labels phares et au regard de ses sorties de 2011 mérite bien une petite récompense : Birds Of Passage en veux-tu en voilà, Thisquietarmy à toutes les sauces, Aun, Blueneck, Contemporary Noise Sextet et j'en passe...

       Et ce n'est pas parce que nous sommes en fin d'année, déjà prêts à dégainer de la fourchette sur de pauvres dindes "emmarronnées", que le label allemand se repose... il montre au contraire sa façon de se comporter à table et de remettre le couvert. Pas moins de deux longs formats ce mois-ci (donc sans compter les rééditions et EP) mais mon choix s'est porté sur Metamanoir, deuxième album du brestois Dale Cooper et de ses Dictaphones.

       Tout autant attiré par le style que par la référence à Twin Peaks, Parole de Navarre, sorti en 2006, m'avait déjà fait grande impression (en vérité je n'ai découvert ce premier opus qu'en 2010, après réédition). Je ne saurais dire si l'étrange concordance des actualités y est pour quelque chose, mais avec Metamanoir cette impression est intacte, voire accrue... jugez par vous-même : au même moment David Lynch se décidait enfin à offrir un album solo digne de sa filmographie, repoussant par la même les doutes portés par ses errances électroniques de début d'année... De nouvelles (et excellentes) apparitions sonores d'Angelo Badalamenti se faisaient également entendre au travers des cascades vrombissantes de Drive (mesdames, laissez-moi vous convaincre que ce "détail" est bien plus sexy que ce bellatre de fou du volant de Ryan Gosling...)... Troublantes coïncidences ou symptomes d'une rechute de lynchiite aigue? Quoiqu'il en soit suffisamment pour donner l'envie (il m'en faut peu, j'avoue...) de retrouver Dale Cooper à l'écran et de compléter par l'écoute du Metamanoir de son homonyme breton.

       Ambiance feutrée pour un jazz ambient sombre et cinématique, dont Denovali se pose désormais en spécialiste (après la sortie des manifestes de The Kilimanjaro Darkjazz Ensemble et The Mount Fuji Doomjazz Corporation) : quartet cuivré aux accents mélancoliques bien moins rugueux que par le passé, la musique du groupe se veut plus accessible, plus lumineuse, touchée par la grâce des voix de Gaëlle Kerrien (également collaboratrice de Yann Tiersen, un autre breton) et Zalie Bellacicco. Quand les deux belles ne chantent pas, Yannick Martin s'exprime à la manière d'un Mark Hollis, chaleureux... ou laisse tout simplement parler la musique, aère. Bienvenue dans un songe étrange... une brume épaisse et bleutée s'élevant du sol... la pluie battant les carreaux... Tout semble calme en apparence, mais particulièrement mystérieux. D'une beauté bouleversante et immersive, il n'est pas difficile de se perdre dans cet album labyrinthique où les morceaux constituent autant de chemins, trompeurs jusque dans leurs titres aux allures de poèmes dada, en un français approximatif ("Une Petit Cellier", "Ma Insaisissable Abri", "Sa Prodigieux Hermitage"...). Mais derrière eux se cachent de nombreux détails, le fourmillement d'une production parfaite, travaillée.

Metamanoir est de ces albums qui se ressentent plutôt qu'ils ne s'écoutent, de ces disques sensoriels bénéfiques qui prennent leur temps, se vivent... à placer dans les petits plaisirs quotidiens si chers à l'agent Dale Cooper, au milieu d'un bon café et d'une part de tarte.

Riton

Erratum : Une petite erreur s'est malencontreusement glissée dans cette chronique. En effet la BO de Drive, prêtée à Angelo Badalamenti, a en fait été composée par Cliff Martinez (collaborateur régulier de Steven Soderbergh, entre autres...). Une explication des plus claires est donnée ici.... Était-ce vraiment une erreur de ma part ou voulais-je tout simplement y trouver du Lynch? Quoiqu'il en soit la musique de Cliff Martinez y est tout bonnement excellente!

Metamanoir en trois mots : sombre, élégant, sensoriel


Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être : 

  • Parole De NavarreDALE COOPER QUARTET & THE DICTAPHONES, Diesel Combustible, 2009 : Ce premier essai des bretons constitue la bande son idéal du film noir et les ébauches d'un hommage très juste à l'univers de David Lynch. Vivement conseillé!

  • From The StairwellTHE KILIMANJARO DARKJAZZ ENSEMBLE, Denovali, 2011 : Comme son nom ne l'indique pas, The Kilimanjaro Darkjazz Ensemble est hollandais, énième projet de Jason Kohnen (plus connu sous le nom de Bong-Ra)... entre jazz, électro, drone avec pour point de repère le cinéma... un disque renversant d'ingéniosité, de mélodies, survolté et tout simplement prenant!

  • BeileidBOHREN & DER CLUB OF GORE, Ipecac, 2011 : Direction l'allemagne pour un groupe tout aussi proche des musiques de films... cet album (mini-album?) de trois morceaux, en plus d'être très beau, dispose d'un featuring de choc en la personne de Mike Patton... particulièrement bon!

  • Manafon, DAVID SYLVIAN, Samadhisound, 2009 : quel chemin parcouru depuis le split de Japan! Avec Manafon David Sylvian présente son album le plus jusqu'au boutiste... entre folk d'avant-garde et jazz parlé ce disque est à mon goût (et ce malgré sa difficulté d'appréhension) un de ses plus beaux chefs d'oeuvres.

If Then Not When, KING'S DAUGHTERS & SONS, Chemikal Underground, novembre 2011 (Par Gagoun)



       Ça, c'est ce que l'on appelle un vrai coup de cœur. Alors que je m’apprêtais à vous faire partager mon amour immodéré pour Atlas Sound et son dernier album, voilà que Riton me fait part de sa curiosité à propos d'un tout nouveau groupe venant de sortir son premier album (cela va de soit...) : King's Daughters & Sons. Tout un programme. Si je vous écris ceci, c'est parce que, et vous vous en doutez bien, ce groupe sera l'objet de ma chronique et donc par extension, que leur album m'a énormément plu.

       King's Daughters & Sons, c'est d'abord une espèce de supergroupe avec des gens quasiment inconnus mais pas dénués de talent pour autant, ni d'envie. On y retrouve entre autres le batteur de Shipping News, Kyle Crabtree, ou encore Rachel Grimes, œuvrant tout aussi bien en solo qu'avec les Grim's ou Shannon Wright. Et enfin au mastering, monsieur Bob Weston en personne s'il vous plaît, le tiers de Shellac, aussi furieux et intransigeant que son acolyte Steve Albini quand il s'agit de s'attaquer au son.

       Au total, deux guitares, trois voix, une batterie, une basse et un clavier, rien de très original à priori mais un résultat surprenant et détonnant que ce If Then not when. La somme des influences de ces musiciens dans leurs projets respectifs rend cet album unique. Post-rock, Folk rock, Slowcore (aaaah les étiquettes!), on retrouve plein de choses dans cette œuvre, des passages instrumentaux en montagnes russes héritées du Post-rock ("A Storm Kept Them Away") à de magnifiques ballades rappelant tout aussi bien la classe des plus grands (Bob Dylan sur "Dead Letter Office" , Leonard Cohen, Bill Callahan ou encore Aidan Moffat d'Arab Strap, le groupe étant d'ailleurs signé sur leur label Chemikal Underground, tiens, tiens...) en passant par une fragilité émotionnelle tout droit venue de Low ("Open Sky"). On notera également les moments magiques que constituent l’entraînante "The Anniversary" et son final tout en puissance ainsi que l'acoustique "Lorelei", magnifique dans sa retenue, sa sobriété et ses petits détails que l'on découvre à chaque nouvelle écoute.

       Il est de ces albums sortis de nulle part, au bon moment et qui vous apparaissent de suite évidents. Comme de coutume avec Bob Weston, le son est lourd, rend ces guitares entrelacées, rêches avec toutes leurs aspérités, leurs dissonances et leur moments de grâce. La distorsion y est presque naturelle à force de gratter les cordes avec rage. La basse, qui apporte une tension permanente à l'ensemble, vrombit (faut dire que le monsieur s'y connait en matière de basse méchante en mode « je sors tout droit des entrailles de la terre et je vous emmerde ! »). De la même manière la batterie est lourde mais puissante tandis que le piano se veut souvent à fleur de peau, parfois planant, toujours touchant. Sur le fil, entre puissance, classe et fragilité, If Then not when est un album absolument magique, qui s'impose à nous comme l'hiver au mois de novembre. Ces "spectral murder ballads, from Kentucky", comme aime à les qualifier le magazine Uncut, sont juste somptueuses et viennent hanter nos esprits en cette période un peu froide, voire glaciale. Merci à elles.

Gagoun

If Then Not When en trois mots : classe, habité, unique


Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • The Great Destroyer, LOW, Sub Pop, 2005 : Low, dont le dernier album a été chroniqué ici même au mois d'avril 2011, est un monument de l'indie rock. La lourdeur, le minimalisme tout en fragilité dont il font preuve depuis le début de leur longue carrière est ici quelque peu nuancée par des ambiances plus chaudes et variées, des guitares acoustiques et un duo Alan Sparhawk/Mimi Parker toujours au top. A l'instar du trio Rachel Grimes/Joe Manning/Michael Heineman de King's Daughters & Sons?

  • 5 : 14 Fluoxytine Seagull Alcohol John Nicotine, MALCOLM MIDDLETON, 2002 : Le premier album de l'autre moitié d'Arab Strab est une petite merveille de folk/rock. Il confirme son talent de compositeur et prouve qu'il est aussi un excellent songwriter à travers cette œuvre intimiste, parfois surprenante mais dans tous les cas, singulière.

  • Offshore, EARLY DAY MINERS, Secretly Canadian, 2006 : depuis onze ans maintenant, les américains d'Early Day Miners font leur petit bonhomme de chemin en toute discrétion, en distillant une musique slowcore/post-rock sur laquelle la voix de Dan Burton vient se poser. Sur cet album, il partage le chant avec une demoiselle, Amber Webber et propose avec ses acolytes, six mouvements dérivés du morceau « Offshore », extrait de leur album de 2002, alternant ambiances éthérées, moments de bravoure et folk fragile. Un très bon cru!