mardi 2 octobre 2012

Real Pussy, KING CYST / The Wonderful World, IAN DRENNAN, Underwater Peoples, Septembre 2012 (Par Riton)




       J'suis vraiment pas content! On attendait en début de mois Ocean Roar, fameuse deuxième sortie de l'année pour Mount Eerie... et Monsieur décide à la dernière minute de le sortir fin août... Laisse moi te dire, Phil, que tu files un mauvais coton! Cet album, réellement génial, méritait amplement sa chronique, et toi tu gâches tout! C'était pour me punir de la dernière fois? Parce que j'ai préféré Rachel Evans à ton Clear Moon? Puisque c'est comme ça je retourne voir ailleurs!

       Tiens, Ian Drennan par exemple, bien qu'un peu excentrique, a l'air d'être un chic type. D'autant plus chic qu'on le retrouve... excusez du peu... omniprésent sur les deux dernières sorties du catalogue d'Underwater Peoples : un saxophone plus qu'entêtant en guise de fil conducteur pour deux des formations les plus atypiques du moment. Une curiosité dont on aurait déjà pu déceler les traces auparavant avec Big Troubles, la faute à un potentiel dévergondage déjà pas mal élevé, en dépit d'un shéma musical indie pop/shoegaze sauce Slumberland de bonne facture mais sans étincelles... celui de mecs capables de se vêtir de sachets ziploc remplis de spaghettis bolognaises pour on ne sait quelle raison, en guise de prémonitions à de futures gros problèmes musico-psychologiques. A savoir qu'en plus son acolyte bassiste Luka Uismani (à gauche sur la photo... et je ne saurais que trop conseiller ses excellentissimes albums solos sous le nom de No Demons Here : gratuits ici) occupe également la place de chanteur au sein de King Cyst... et qu'avec un nom pareil et un album intitulé "Real Pussy", je vous souhaite bonne chance pour trouver quelconque information (en dehors bien sûr de la fiche CD du label, quelques articles par-ci par là et cette chronique...), entre le pire ou le meilleur de Cock and ball Torture (le groupe), des sites de ventes de sex toys et autres cliniques à la sauvette... à première vue surprenant pour un ancien groupe de reprises instrumentales des Doors.

       Quoiqu'il en soit ça commence comme un album de chez Elephant 6 avec "Greedy Garden" et "Real Pussy" (et tout est prétexte à penser à Bill Doss), cocktail grésillant de psych-pop lo-fi, la fougue remplacée par une lenteur approximative confinant à l'euphorie, la nonchalence de Luka Uismani prenant place au milieu de rêves de verdure rougeoyante, de fous rires béats... Progressivement le trip en pleine ascension se déconstruit et devient à la fois plus contemplatif et dérangé. Le piano s'emballe face à un saxophone jazzy bien trop serein ("Ari Stern Living", "James Granato") et l'excursion se fait de plus en plus planante ("Djinn", "Master Of Nudity"). Ian Drennan, pourtant appelé à la hâte pour compléter ce projet, devient finalement l'élément perturbateur ("James Holt Living"), le libérateur d'endorphines, la petite folie chatouillant les oreilles, en prélude parfait à un album solo complémentaire mais plus qu'expérimental. Si "Elaine the Fair" laisse entrevoir un talent de songwriting plus que touchant, c'est du côté d'une orfèvrerie du grand n'importe quoi (qui semble, après la signature d'Eric Copeland, être devenu dada sur le label de Julian Lynch), du découpage capilotracté et impromptu que s'égare ce The Wonderful World. Les morceaux sont sans structures apparentes ou plutôt les multiplient : entre stridences agressives baignées dans l'écho et gimmicks mélodiques facheusement mémorisables, les boucles de sonorités concrètes balbutiantes (eau, bruits métalliques...) se mêlent aux quelques beats bien placés (non pas ça... laissons le concept à Death Grips), déplacés ("Miroir Fantastique"), aux synthétiseurs spatiaux et à ce saxophone inamovible... plus discret mais toujours présent, comme fondu dans le décor, comme si le passage de Real Pussy à The Wonderful World l'avait complètement imprégné.

       D'hommage en hommage, de la scène de Canterbury à tous ses héros du psychédélisme (Robert Wyatt, Kevin Ayers...), ces deux albums mis bout à bout offrent un voyage surprenant au bout duquel émanent des musiciens désincarnés, des instruments dématérialisés... et un Ian Drennan évanescent pas loin de s'imposer comme un maître en la matière.... une matière qui s'évapore... A défaut de, ça vaut bien un Mount Eerie, n'est-ce pas Phil?!

Riton

Real Pussy en trois mots : psychédélique, planant, rêveur

The Wonderful World en trois mots : expérimental, capilotracté, planant

Ecouter Real Pussy ici : http://www.deezer.com/fr/album/5633411 (ou sur Spotify)

Ecouter The Wonderful World ici : http://www.deezer.com/fr/album/5633401 (ou aussi sur spotify... et n'espérez rien trouver sur youtube à part un florilège des performances de son homonyme parachutiste)

Si vous aimez ces albums, vous aimerez peut-être :

  • Terra, JULIAN LYNCH, Underwater Peoples, 2011 : Si Terra peine à satisfaire, la faute à une durée trop courte et une impression permanente de patauger... Julian Lynch sait se faire entendre quand il s'agit de planer et de montrer son talent. Ses recherches en ethnomusicologie et tout le temps passé en Inde semblent avoir définitivement marqué sa musique et comme nous avons pu le voir, tout un pan du catalogue actuel de son label.

  • Limbo, ERIC COPELAND, Underwater Peoples, 2012 : Comme son nom l'indique, cet album est fait de bouts de ficelles (en imagineant qu'on remplace le bâton de limbo par un fil... c'est tout ce que j'avais), de ficelles bruitistes réassemblées, en saccade, presque dansantes, et surtout hypnotiques. Eric Copeland, quand il prend ses RTT de chez Black Dice et ne flirte pas avec Avey Tare au sein des Terrestrial Tones, c'est pour bruiter sur les dancefloor ardents, façon Otomo Yoshihide en soirée mousse.

  • Revolutionary Pekinese Opera, Ver. 1.28, GROUND ZERO, ReR Megacorp, 1996 : Et puisqu'il était question d'Otomo Yoshihide et que je ne vais pas partir comme ça sans expliquer, le voici avec son projet Ground Zero dans ce qu'on pourrait aisément appeler un opéra révolutionnaire japonais (et non chinois), dans lequel une partie de la culture nippone passe à la moulinette de cet adepte du turntablism et est réinterprétée à coup de collages (bruitages en pagaille : combats, voix et instruments traditionnels) complètement hallucinés, entre noise et free jazz (en somme un résultat bien plus violent que ce que Ian Drennan peut faire... mais à coup sûr influent)


Architecture of Loss, VALGEIR SIGURDSSON, Bedroom Community / Screws, NILS FRAHM, Erased Tapes Records, Septembre 2012 (Par Gagoun)




       Ça commence par un silence... Puis un bruit blanc qui vous emmène vers des trésors de dissonances mais aussi de mélodies fragiles, tantôt esquissées, tantôt appuyées. Ça commence par quelques notes qui se cherchent, forment le début d'un thème... Un piano à fleur de peau, la simplicité de la mélodie et le dépouillement de la musique. Deux sensibilités néoclassiques, deux artistes sur le fil, deux amoureux du son et de l'intime. D'un côté, Valgeir Sigurðsson, le Steve Albini islandais, que dis-je, le Lee Scratch Perry du Grand Nord!!! Le monsieur a produit à peu près tous les artistes de l'île, de Sigur Ros à Björk en passant par Múm ou encore l’adopté Ben Frost mais aussi bien d'autres comme Bonnie Prince Billy ou Feist plus récemment. Ça c'est pour le CV... Pour la composition, l'artiste n'est pas en reste non plus. De multiples collaborations et maintenant ce troisième album, son Architecture of Loss, sorti sur son label Bedroom Community. De l'autre côté de la rive, Nils Frahm, lui aussi, aime produire : son ami Peter Broderick ou le tout nouvel album du folkeux Will Samson (qui, au passage, vous est vivement recommandé par vos humbles serviteurs) entre autres perles. Nils Frahm, nous vous l'avions déjà présenté à l'occasion d'une chronique sur Oliveray, il est aussi l'auteur de plusieurs albums dont un particulièrement magique : Felt sorti l'an dernier. Enfin Nils Frahm, c'est un pianiste doué, au feeling simplement touchant, mettant régulièrement ses talents au service de nombreux artistes (Autre coïncidence du calendrier, l'allemand a participé au petit bijou pop des danois d'Efterklang sorti également ce mois-ci). A la surprise générale, le musicien sort donc un nouvel album ce mois, comme ça, sans crier gare, en libre téléchargement et qui bénéficiera d'une sortie physique prochainement via l'excellent label Erased Tapes Records. Un joli cadeau d'anniversaire que le pianiste nous offre là alors que c'est justement son anniversaire à lui... Mais peut-être se fait-il un peu plaisir lui même en nous proposant cette œuvre... En tout cas, celle-ci s'intitule Screws, en hommage aux broches qui ornent actuellement son pouce cassé à la suite d'une chute malencontreuse.

       Si Nils Frahm nous offre ici neuf petites perles de chambre, sobres et gorgées de mélancolie avec un piano pour seul protagoniste et les craquements du temps qui passe en toile de fond, Valgeir Sigurðsson, lui, se plaît à enrichir ses errances mélodiques à coup de tensions dissonantes, de percussions entêtantes, d'électronique étrange. Si le piano reste le fil conducteur, il doit néanmoins affronter plusieurs tumultes, accompagné parfois par un violon qui semble lui répondre sur "The Crumbling", prendre le dessus sur "Big Reveal" ou encore courir avec lui sur ''Plainsong". La sensibilité, la fragilité : voici ce qui caractérise l'ambiance de deux œuvres uniquement instrumentales et dont le feeling vaut bien toutes les paroles exprimées du monde. Ainsi Nils Frahm nous parle directement, nous chuchote sa tristesse tranquille, presque sereine. Les doigts effleurent les touches, ces dernières craquent, le souffle empli la pièce quand le piano, affublé de sa magnifique réverbe naturelle, ne s'en charge pas lorsqu'il hausse légèrement le ton. Le pianiste allemand nous entrouvre la porte de son intimité en ouvrant un simple micro posé ça ou là. Quelques thèmes récurrents, l'art de la note juste, des parties magnifiquement improvisées comme autant de divagations de l'âme. Celles là même nous sont proposées par le compositeur islandais, entre musique écrite et musique improvisée. Si les parties écrites traduisent cette même mélancolie presque rassurante, les parties improvisées produisent un effet plus noir, parfois hypnotique, toujours sombre, voire inquiétant. Naissent ainsi des drones étranges, des dissonances accrocheuses et des ambient nous arrachant à cette sérénité. Pour autant, rien de désagréable ici, un peu comme le cours d'une vie paisible parfois dérangée par des évènements plus sombres que les autres. Il faut dire que cette œuvre a été conçue comme une histoire puisqu'elle est à l'origine composée pour le ballet du chorégraphe américain Stephen Petronio. Au contraire l'album de Nils Frahm, si il s'écoute facilement d'une traite, n'a pas d'autre trame que celle que vous voudrez bien imaginer au fil de vos écoutes. Son auteur n'a d'ailleurs pas pris le temps de nommer ses morceaux baptisés simplement par la tonalité dans laquelle ils ont été exécutés. Seules les musiques d'ouverture et de fermeture s'intitulent sobrement "You" et "Me". Une volonté d'associer l'auditeur à son intimité?

       Au final si ce bijou n'est pas aussi travaillé que son prédécesseur Felt, il n'en est pas moins infiniment touchant et doté d'une spontanéité que l'on croise rarement dans la musique classique. Car nous parlons bien de musique classique ici, de musique néo classique plus précisément. Pas celle du passé, qui possède d'autres qualités, appartient au monde du patrimoine et des partitions mais bien celle du présent et de l'avenir. Une musique vivante en phase avec son temps, qui sait intégrer la philosophie Do It Yourself des punks, l'électronique/ambient de Brian Eno et le minimalisme d'Arvo Pärt. Une musique qui grandit et prend de plus en plus de place dans le petit monde indépendant. Nils Frahm et Valgeir Sigurðsson sont ainsi deux étoiles au milieu de cette vaste constellation. Ils accompagneront sans doute les longues soirées automnales et hivernales de certains d'entre nous. Jusqu'à la naissance de nouvelles étoiles...

Gagoun

Architecture of Loss en trois mots : mélancolique, ambient, fragile

Screws en trois mots : mélancolique, intimiste, minimaliste

L'album de Valgeir Sigurðsson est en écoute intégrale : ici

L'album de Nils Frahm est en écoute intégrale sur soundcloud : http://soundcloud.com/selftitledmag/sets/nils-frahm-screws/

Si vous aimez ces albums, vous aimerez peut-être :

  • Ekvílibríum, VALGEIR SIGURDSSON, Bedroom Community, 2007 : Premier album du compositeur islandais. Celui-ci est marqué notamment par l'intervention de Bonnie Prince Billy au chant sur un morceau. Plus accessible que l'album sorti ce mois-ci, il permet de découvrir une autre facette de l'artiste, plus mélodique, voire electro.

  • The Bells, NILS FRAHM, Kning Disk, 2009 : Moins lo-fi que Screws, sans ce son si particulier qui fait de Felt un album tellement spécial, The Bells reste un superbe moment de piano solitaire avec ce feeling, toujours et ces compositions minimalistes à la sensibilité exacerbée. A noter la très prenante "Down Down".

  •  By The Throat, BEN FROST, Bedroom Community, 2009 : A l'instar de son ''compatriote d'adoption'' qu'est Valgeir Sigurðsson (et qui participe d'ailleurs à cet album tiens tiens...), l'australien Ben Frost livre là une œuvre parfaitement anxiogène où la musique classique se mêle à l'electro/indus de manière très prenante. Les passages ambient ne sont pas sans rappeler ceux évoqués ci-dessus dans la chronique de l'islandais. Un artiste atypique pour une œuvre ensorcelante.

  • Et pourtant c'est arrivéJULES RUDE, Gorgone Productions, 2012 : Pour finir en toute discrétion, voici 21 petites minutes juste superbes dans la digne lignée d'un Nils Frahm. Celles-ci ont été composées cette année par un français, un lillois plus précisément (represent!!). Un vrai coup de cœur pour ces compositions simples et réellement touchantes. C'est dingue ce que l'ont peut faire ressentir avec un piano finalement. Un artiste à suivre de très près en tout cas...