vendredi 2 novembre 2012

Epilogue, BLUENECK, Denovali, Octobre 2012 (Par Gagoun)



       Blueneck, c'est noir. Pas un noir teinté d'un vain espoir, d'une quelconque mélancolie, Blueneck c'est juste noir. Blueneck, c'est la suggestion, un appel au laisser-aller de l'âme. Son œuvre, Epilogue est la bande son d'un film imaginaire selon les dires de ses auteurs. Pas de mots ici, ils sauraient trop vers quelles contrées vous guider. Ainsi juste des instruments qui s'expriment, du silence, des murmures, des textures.

       Quelque part après la fin du monde, peu importe l'endroit et le temps, il n'y a plus rien ici bas. Juste le silence, le bruit du silence, la solitude, les grands espaces et quelques errants passant ça et là, eux même poursuivant un but qui n'existe pas, qui n'existe plus. Le calme après la tempête. Fini le stress des sociétés, fini la peur de la catastrophe, du déluge, ici tout n'est que désolation baignant dans une certaine quiétude que ne saurait tromper la magnificence électrique, lourde des villes abîmées et dépeuplées que nous traversons parfois. Si la batterie martèle, si les arpèges de guitare s'entrelacent ou se répondent, si la saturation laisse poindre le bout de son nez, ce n'est que pour nous rappeler un temps lointain, agité mais bien révolu. Car tout est désert. Tout est tranquille finalement. Le piano, encore une fois, mène la danse. Son épure, sa simplicité ne sont dérangées que par ces quelques voix lointaines, inoffensives, ses field recordings, ces claviers accompagnés d'une electro froide et légère rappelant toujours ces paysages urbains. Ici et là, quelques xylophones nous ramènent à l'état de l'enfance, là où tout n'était que découverte, simplicité et beauté. La quiétude toujours.

       Alors nous marchons, quelque part entre La Route de Cormac Mac Carthy et Into the Wild version Sean Penn, nous sommes tristes d'errer sans envie, sans Graal à atteindre, les plus jeunes sont nostalgiques de ce qu'ils n'ont pas connu, les amitiés, les amours, l'insouciance, l'inconscience même... Les plus âgés se rappellent leurs temples, leurs certitudes. Mais au moins, nous sommes tous fixés. Le pire a eu lieu, le monde est passé. Plus de pression, plus d'exigences, plus de vie à mener, juste la fin du regard de l'autre et la sérénité.

       À chaque interprétation, à toutes ces musiques cinématographiques, au retour rageur et porteur d'espoir de Godspeed You Black Emperor, à Farewell Poetry, à Her Name is Calla, Hrsta, Do make say think, Ólafur Arnalds et bien d'autres...

Gagoun

Epilogue en trois mots : triste, cinématographique, errant

En écoute dans son intégralité par ici : http://www.deezer.com/fr/album/5959155

Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • The Fallen Host, BLUENECK, Denovali Records, 2009Deuxième album du groupe, c'est aussi un Blueneck dans une version plus classique auquel nous avons droit ici. Du post rock sans grande innovation mais incroyablement bien fait et touchant. Une voix cette fois-ci bien présente, haut perchée et mélancolique tout comme ces crescendos impressionnants et jouissifs. Toujours ce sens de la belle mélodie, de la tristesse. Blueneck fait bien partie de ses rares groupes qui arrivent encore à magnifier un genre qui a parfois tendance à se parodier lui-même.

  • Goodbye Ennemy Airship The Landlord is dead, DO MAKE SAY THINK, Constellation Records, 2000 : Aux grandes heures de Constellation, il y avait Do Make Say Think et ses paysages arides. Un groupe réellement à part... Si la rudesse du son, les formes épiques et les rythmiques alambiquées, parfois jazzy que proposent le groupe paraissent se situer à l'opposé d'un Blueneck plus sobre et léché, le potentiel cinématographique n'en demeure pas moins immense et constitue une belle porte d'entrée dans ce qui constitue, pour moi, la quintessence du genre « post-rock » : l'univers de Constellation.

  • Eleventh Trip, ALPHA, Don't touch, 2012 : Petit clin d’œil enfin à un autre genre éminemment cinématographique, le trip-hop, au moment où l'un de ses plus dignes représentants sort un superbe album, j'ai nommé Alpha. Ce n'est sûrement pas un hasard, si Duncan Atwood, chanteur de... Blueneck, prête sa voix à plusieurs morceaux. Point de hasard non plus si, encore une fois, le groupe dépasse les frontières du genre pour lorgner vers la pop, la folk et le post rock... Magnifique ! Sur ce, je vous laisse avec la plume de l'ami Lapin qui en parle excellemment bien par ici : http://www.indierockmag.com/article19992.html


Works for Abattoir Fermé 2007-2011, KRENG, Miasmah, Octobre 2012 (Par Riton)



       "Nous vous informons que certaines scènes du spectacle auquel vous allez assister pourraient heurter la sensibilité des plus jeunes ainsi que des personnes non averties".

       Des rituels occultes enflammés... Des symboles se dessinant sur les murs... des hommes et femmes nus, en transe, semblant lutter contre des forces invisibles... Textes malsains et incisifs sur fond de beats indus dronesques, sous les yeux et les oreilles de spectateurs curieux et ébahis. "Une plongée dans l'étrange et l'occulte" : voici ce que le collectif français d'artistes Materia Prima nous offrait samedi dernier à l'Aéronef de Lille (dans le cadre de l’évènement Hybris #1, organisé à l'occasion du festival Fantastic de Lille 3000... où jouait Secret Chiefs 3 et les belges du label Cheap Satanism, Joy As A Toy). En façade légèrement éloigné (notamment par son caractère nettement plus burlesque) de ce qui va suivre et pourtant tant à propos en ces instants de célébration des morts et surtout à la lumière des arts scéniques contemporains dans leurs acceptions les plus subversives et dérangeantes, totals, entre performances, musique et travail plastique.

       Ainsi de son coté (outre-Quiévrain) la compagnie malinoise d'Abattoir Fermé a fait le choix depuis 2007 d'intégrer à ses spectacles les talents de composition de Pepijn Caudron (lui-même originellement comédien), connu sous le nom de Kreng. Après deux albums "solos", déjà chez l'excellent label Miasmah (Jasper TX, Jacaszek, Simon Scott...), il était temps pour lui de compiler une partie de ces "accompagnements" dans un coffret digne de ce nom : plus de trois heures d'un ambient théâtral horrifique dont il a le secret (masterisé par Nils Frahm attention!) et qu'on s'imagine très bien, cramponné à son siège, voir s'animer sur les planches... Quatre pièces musicales différentes mais qui mises bout à bout (pour le peu que vous soyez assez maso et disponible pour tout écouter en une fois) semblent former un tout.

       Tourniquet, avec ses nappes inquiétantes et fantomatiques, transformées progressivement en une pulsation quasi martiale, nous dépeint des paysages particulièrement lynchéens... Ces sonorités qui nous renvoient à tous ces personnages en proie à leur propre condition, ces Henry Spencer, Laura Palmer, Dale Cooper, Fred Madison, Nikki Grace... coincés entre rêve/cauchemar et réalité. Leurs fantômes continueront à émaner de l'oeuvre, mais l'atmosphère se fera de plus en plus effrayante et funèbre.

       Mythobarbital (que l'on trouvait déjà, dans une version retravaillée, dans L'autopsie phénoménale de Dieu), orchestral et désolé, dans un style résolument grandiose et cinématique, nous plonge lentement vers les abîmes, jusqu'à n'entendre qu'un bruit sourd, le bourdonnement provenant de plaintes et le choc interminable du chaos.

       Retour à une surface faussement plus claire avec Snuff, ou l'espoir de mélodies néo-classiques se retrouve rapidement balayé manu-militari à coup de roulements de tambours pour nous renvoyer trembler, haletants, là ou Mythobarbital nous avait laissés.

       Monkey prolonge l'immersion, encore plus basse, plus inquiétante, au point de complètement dérailler et de laisser une electro bruitiste anxiogène prendre le dessus (en mode "Dominick Fernow sur le dancefloor"), aussi malsaine que rassurante, après l'épreuve passée...

       En conclusion et en guise de bonus, Monster! (issu d'un programme TV flamand, du genre de ceux qu'on ne voit pas en France...) s'amuse à rendre un hommage dégoulinant et complètement décalé aux séries Z d'horreur, plus conventionnel  balisé, mais tellement délectable... un peu comme ci Goblin avait douloureusement copulé avec John Carpenter et Alan Howarth.

       Plus qu'une compilation, un passeport pour l'effroi, un aller simple pour ceux qui aiment se faire frissonner et la bande son idéale en cette période (à juste titre merveilleusement bien anticipée en podcast par les camarades d'Indie Rock Mag). Souffle coupé rattrapé par l'enthousiasme et l'on se dit ainsi que le nombre de spectacles créés devraient permettre à l'avenir d'autres sorties de ce genre, que le sieur Kreng en a surement encore beaucoup en réserve, et que Mechelen n'est pas si loin, l'occasion peut-être un jour de vivre l'expérience "Abattoir Fermé" en direct, à nos risques et périls. Encore de longues et sombres nuits en perspective!

Riton

Works for Abattoir Fermé 2007 – 2011 en trois mots : sombre, théâtral, flippant

Ecouter en entier sur Deezer : http://www.deezer.com/fr/album/5255971

Si vous aimez ce(s) disque(s) vous aimerez peut-être :

  • L'autopsie phénoménale de Dieu, KRENG, Miasmah, 2009 : Avec ce premier long format, Pepijn Caudron nous expose la facette la plus jazz de son projet Kreng... mais un jazz qui se traîne  qui rampe, un jazz aux croisement du drone, de l'ambient, du néo-classique à filer la chair de poule à des canaris.

  • Grimoire, KRENG, Miasmah, 2011Grimoire, c'est en quelque sorte la bible de Kreng, un manifeste de terreur à la valeur occulte ajoutée, plus mystérieux encore que son prédécesseur... tout simplement merveilleux et troublant!

  • Host, ANTHEA CADDY & THEMBI SODDEL, Room40, 2012 : Violoncelle pour l'une, machines pour l'autre, triturés jusqu'à la moelle  Croisement de matière sonore, field recordings arrangés, et coups d'archets stridents constituent la recette d'un des disques (si pas LE disque) le plus inconfortablement exquis de l'année. Comment deux personnes si charmantes peuvent-elles nous rendre si mal à l'aise? Clairement à déconseiller aux plus fragiles!