"Nous vous informons
que certaines scènes du spectacle auquel vous allez assister
pourraient heurter la sensibilité des plus jeunes ainsi que des
personnes non averties".
Des rituels occultes
enflammés... Des symboles se dessinant sur les murs... des hommes et
femmes nus, en transe, semblant lutter contre des forces
invisibles... Textes malsains et incisifs sur fond de beats indus
dronesques, sous les yeux et les oreilles de spectateurs curieux et
ébahis. "Une plongée dans l'étrange et l'occulte" :
voici ce que le collectif français d'artistes Materia Prima nous
offrait samedi dernier à l'Aéronef de Lille (dans le cadre de l’évènement Hybris #1, organisé à l'occasion du festival
Fantastic de Lille 3000... où jouait Secret Chiefs 3 et les belges
du label Cheap Satanism, Joy As A Toy). En façade légèrement
éloigné (notamment par son caractère nettement plus burlesque)
de ce qui va suivre et pourtant tant à propos en ces instants de
célébration des morts et surtout à la lumière des arts scéniques
contemporains dans leurs acceptions les plus subversives et
dérangeantes, totals, entre performances, musique et travail
plastique.
Ainsi
de son coté (outre-Quiévrain) la compagnie malinoise d'Abattoir
Fermé a fait le choix depuis 2007 d'intégrer à ses spectacles les
talents de composition de Pepijn
Caudron (lui-même originellement comédien), connu sous le nom de
Kreng. Après deux albums "solos", déjà chez l'excellent
label Miasmah (Jasper TX, Jacaszek, Simon Scott...), il était temps
pour lui de compiler une partie de ces "accompagnements"
dans un coffret digne de ce nom : plus de trois heures d'un ambient théâtral horrifique dont il a le secret (masterisé par Nils Frahm
attention!) et qu'on s'imagine très bien, cramponné à son siège,
voir s'animer sur les planches... Quatre pièces musicales
différentes mais qui mises bout à bout (pour le peu que vous soyez
assez maso et disponible pour tout écouter en une fois) semblent
former un tout.
Tourniquet,
avec ses nappes inquiétantes et fantomatiques, transformées
progressivement en une pulsation quasi martiale, nous dépeint des
paysages particulièrement lynchéens... Ces sonorités qui nous
renvoient à tous ces personnages en proie à leur propre condition,
ces Henry Spencer, Laura Palmer, Dale Cooper, Fred Madison, Nikki
Grace... coincés entre rêve/cauchemar et réalité. Leurs fantômes continueront à émaner de l'oeuvre, mais l'atmosphère se fera de
plus en plus effrayante et funèbre.
Mythobarbital
(que l'on trouvait déjà, dans une version retravaillée, dans
L'autopsie
phénoménale de Dieu),
orchestral et désolé, dans un style résolument grandiose et
cinématique, nous plonge lentement vers les abîmes,
jusqu'à n'entendre qu'un bruit sourd, le bourdonnement provenant de
plaintes et le choc interminable du chaos.
Retour à une surface
faussement plus claire avec Snuff,
ou l'espoir de mélodies néo-classiques se retrouve rapidement
balayé manu-militari à coup de roulements de tambours pour nous
renvoyer trembler, haletants, là ou Mythobarbital nous avait
laissés.
Monkey prolonge l'immersion, encore plus basse, plus inquiétante, au point
de complètement dérailler et de laisser une electro bruitiste
anxiogène prendre le dessus (en mode "Dominick Fernow sur le
dancefloor"), aussi malsaine que rassurante, après l'épreuve
passée...
En conclusion et en guise
de bonus, Monster!
(issu d'un programme TV flamand, du genre de ceux qu'on ne voit pas
en France...) s'amuse à rendre un hommage dégoulinant et complètement décalé aux séries Z d'horreur, plus conventionnel
balisé, mais tellement délectable... un peu comme ci Goblin avait
douloureusement copulé avec John Carpenter et Alan Howarth.
Plus qu'une compilation,
un passeport pour l'effroi, un aller simple pour ceux qui aiment se
faire frissonner et la bande son idéale en cette période (à juste
titre merveilleusement bien anticipée en
podcast par les camarades d'Indie Rock Mag). Souffle coupé
rattrapé par l'enthousiasme et l'on se dit ainsi que le nombre de
spectacles créés devraient permettre à l'avenir d'autres sorties
de ce genre, que le sieur Kreng en a surement encore beaucoup en
réserve, et que Mechelen n'est pas si loin, l'occasion peut-être un
jour de vivre l'expérience "Abattoir Fermé" en direct, à
nos risques et périls. Encore de longues et sombres nuits en
perspective!
Riton
Works
for Abattoir Fermé 2007 – 2011 en trois mots : sombre, théâtral, flippant
Ecouter
en entier sur Deezer : http://www.deezer.com/fr/album/5255971
Si
vous aimez ce(s) disque(s) vous aimerez peut-être :
- L'autopsie phénoménale de Dieu, KRENG, Miasmah, 2009 : Avec ce premier long format, Pepijn Caudron nous expose la facette la plus jazz de son projet Kreng... mais un jazz qui se traîne qui rampe, un jazz aux croisement du drone, de l'ambient, du néo-classique à filer la chair de poule à des canaris.
- Grimoire, KRENG, Miasmah, 2011 : Grimoire, c'est en quelque sorte la bible de Kreng, un manifeste de terreur à la valeur occulte ajoutée, plus mystérieux encore que son prédécesseur... tout simplement merveilleux et troublant!
- Host, ANTHEA CADDY & THEMBI SODDEL, Room40, 2012 : Violoncelle pour l'une, machines pour l'autre, triturés jusqu'à la moelle Croisement de matière sonore, field recordings arrangés, et coups d'archets stridents constituent la recette d'un des disques (si pas LE disque) le plus inconfortablement exquis de l'année. Comment deux personnes si charmantes peuvent-elles nous rendre si mal à l'aise? Clairement à déconseiller aux plus fragiles!
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