dimanche 1 septembre 2013

To The Happy Few, MEDICINE, Captured Tracks, Août 2013 (Par Gagoun)



       Les zicos qui regardent leurs pompes en jouant se portent bien cette année. On a des héritiers, des gars qui réinventent le genre comme True Widow ou Disappears. Et puis on a les papas, les revenants, ceux que l'on croyait mort avec la décennie 90 et qui réapparaissent dans notre quotidien musical sans crier gare. On passera sur le retour de My Bloody Valentine, non pas qu'il soit inintéressant mais tout a déjà été dit et écrit partout (sauf ici, enfin jusqu'à maintenant...) et vous avez, et c'est un euphémisme, suffisamment de matière pour vous faire votre propre idée sur ce nouvel objet de toutes les médiatisations indé et de toutes les passions. On se penchera plutôt sur un petit frère plus discret (pas difficile), un vilain petit canard pourtant infiniment talentueux, créatif et touchant. Après MBV, c'est donc Medicine, l'un des tous meilleurs groupes shoegaze nineties, qui revient après 18 ans d'absence nous proposer ce To The Happy Few étonnant d'inventivité, là où n'importe quel autre groupe culte se serait contenté d'appliquer une recette qui a déjà fait ses preuves, histoire d'assurer le coup pour un retour attendu et épié par tous les amateurs. Suivez mon regard virtuel... Qu'ont fait tous les membres de ces groupes ayant fait vœu de silence des années durant avant de revenir en musique? Sont-ils partis vivre tous ensemble sur une île déserte ou dans une (grande) cabane au fond de la forêt amazonienne? Se sont-ils cryogénisés dans une capsule à l'abri du monde, du temps (et des fans)? Leur horloge vitale se serait-elle arrêtée soudainement, les laissant là immobiles, bras ballants pendant que la vie vit sa vie? Mystère... En tout cas ils sont nombreux, ces groupes à reprendre les choses là où ils les avaient laissées à l'époque de leur gloire, comme si rien ne s'était passé entre temps, comme si ils ne s'étaient pas nourris de leurs expériences de vie, d'écoutes, ressassant le passé, le « c'était mieux avant ». Pour le meilleur et pour le pire : il peut être bon parfois de se lover dans une ambiance, une période, un souvenir. On appelle ça le revival et il est bien légitime, parfois même excitant, de voir ces mythes redevenir réalité et se réapproprier leur époque. On a, je pense, tous des exemples en tête et ce dans tous les styles de musique.

       Alors quand l'un de ces grand groupes idolâtrés réapparaît pour nous proposer quelque chose de nouveau, inscrit dans le temps présent tout en gardant les ingrédients du passé qui en ont fait l'identité, je ne vous explique pas les dégâts ! Bienvenue en 2013 Medicine! Les chants harmonisés, éthérés, bien en retrait dans le mix sont toujours là, les murs de guitares fuzzés aussi mais à petites doses. Car c'est bien là la nouveauté apportée par ce nouvel album. Si le shoegaze est avant tout un genre dérivé de la pop, une pop malade, noyée sous les couches de bruit, ici c'est la mélodie qui reprend le dessus. Comme sur les deux premiers albums, le son est crade, presque lo fi mais les claviers et la guitare claire prennent une place plus importante que par le passé. Une œuvre moins agressive donc avec également une basse, mélodique et groovy à souhait comme unique repère quand les structures éclatent, quand la rythmique devient folle... Encore un nouvel aspect de la musique des américains : là où Medicine aimait, auparavant, prendre son temps pour installer un tempo, une ambiance allant jusqu'à étirer ces derniers sur de longues minutes provocant l'hypnose à coup sûr, le groupe prend désormais un malin plaisir à désorienter l'auditeur par ces changements de rythmes au premier abord difficiles et ces structures de chansons complexes, presque à l'image d'un groupe de math rock. Logique à une époque où les frontières sont troubles, les repères inexistants, les gens paumés, les valeurs craquelées, morcelées.

       Alors oui Medicine est bien un groupe de 2013. Il ne renie pas pour autant son passé, sait appuyer certains passages, certaines textures dream pop et noisy, ne sacrifie jamais la mélodie au détriment de l'expérimentation. D'ailleurs les harmonies vocales de Brad Laner et Beth Thompson sont magnifiques, le talent de composition du groupe éclate littéralement sur cet album et prouve que Medicine est avant tout un grand groupe de pop. Qui a dit que les shoegazers étaient de piètres musiciens cachant leur manque d'inventivité derrière des murs de sons faciles et sans saveurs? Un bon coup de pompe au cul ouais!

Gagoun

To The Happy Few en trois mots : rêveur, déroutant, pop

En écoute intégrale par ici: http://www.deezer.com/fr/album/6716445


Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • Her Highness, Medicine, American recordings, 1995 : Cet album est un must, il est totalement représentatif de l'époque shoegaze longuement évoqué ci-dessus. Le groupe est au top, les guitares sonnent de manière impressionnante et l'ambiance y est magnifiquement hypnotique. Parfait pour les nostalgiques 90's!

  • Circumbulation, TRUE WIDOW, Relapse, 2013 : On a failli vous en parler le mois dernier, voici une occasion de nous rattraper! Encore une pépite pour le groupe américain... Du shoegaze oui mais du côté obscur de la force. Si les textures et autres voix éthérées sont bien présentes, elles sont cette fois mises au service d'un stoner doom répétitif et ensorcelant. En tout cas cet album est une beauté noire et épurée à côté de laquelle vous ne pouvez pas passer. Un des très grands crus de cette année 2013.

Deep Trip, DESTRUCTION UNIT, Sacred Bones Records, Août 2013 (Par Riton)



       C'est indéniable, Sacred Bones excelle dans le jeu du chat et de la souris avec nos sens. Depuis 2007, son catalogue partagé entre voyages mystiques, crasse urbaine et occultisme latent, est constamment agrémenté de nouveaux bijoux... des petits bijoux qui se révèlent être de parfaites armes sonores contondantes qui ne se contentent pas d'élimer nos tympans mais aussi de malmener les esprits. C'est triste à dire mais j'ai bien peur que les amateurs du label ne fassent pas de vieux os... de toute façon c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleurs sourds!

       Le petit dernier, Deep Trip, en rajoute une couche (il faudra d'ailleurs en changer souvent au cours de l'écoute) en mode unité de destruction massive, ravageur au point qu'il serait purement indécis pour les frangins Ryan et Rusty Rousseau d'essayer de se dédouaner de toutes responsabilités. Introduction toute en larsens, guitares vrombissantes suivis des blast beats inopinés d'un batteur qui semble dire "Coucou c'est moi, vous allez m'entendre!"... il leur faudra tout de même un sacré alibi pour panser nos acouphènes. Tant d'énergie d'un coup c'était suspect mais pas de raison de se méfier et surtout pas la force... les jambes coupées en même temps que l'herbe sous nos pieds. Bonne technique que de mettre sur les rotules pour mieux maîtriser... faire passer la pilule (entre autres substances) des nuages de fumées qui planent sur le reste du disque. Car si la fougue pointe son nez avant tout, l'ensemble se montre rapidement bien plus surprenant que le synth-punk bas du front (ou encore que l'ensemble de la discographie de The Reatards, dans lequel jouait Ryan Rousseau) des deux premiers albums, à l'époque où Alicja Trout et le célèbre et malheureusement défunt Jay Lindsey dit "Reatard" composaient un Destruction Unit réunissant alors à lui seul les trois quarts du vivier de musiciens de la scène indépendante de Memphis (Ryan Rousseau a rencontré Alicja Trout au sein des Black Sunday, qui elle-meme a joué avec Jay Lindsey dans C.C Riders, Lost Sounds, Nervous Patterns, qui lui-même a joué avec Ryan Rousseau dans les Reatards... sans compter les projets individuels, les groupes d'un soir et j'en passe...).

       Assommés, les membres engourdis, l'album nous plonge la tête dans l'aquarium, brasse les chaleurs rocheuses traversées par le groupe lors de son déménagement à Tempe, au pied du désert de l'Arizona. L'on retrouve par instants le psychédélisme aride de Sonoran mais chaque remontée se fait de plus en plus violente sous le poids des bourdonnements électriques de la production enregistrée par Ben Greenberg de The Men. Le trip profond chatouille l'intérieur, sans pitié, harassant, parfois aux limites du malsain (certaines sonorités tiennent presque du mélange hardcore/black metal...), proche de ce à quoi pourrait ressembler l'atmosphère dérangée et bordélique d'une salle de shoot échangiste : entre joie, pesanteur et interdit. Les oreilles déjà bien arrangées, on en prend aussi plein les yeux avec cet artwork en illusion d'optique... perturbant!

       En résumé "une odyssée spirituelle de dégoût intérieur sadomasochiste faite de chansons sur l'amour et la liberté", c'est pas moi qui le dit mais je plussoie! Encore merci à Sacred Bones et rendez-vous déjà pris le mois prochain avec la Nature Noire de Crystal Stilts... ce sera sûrement un peu plus doux mais on ne sera pas dépaysé!

Riton

Deep Trip en trois mots : destructeur, noisy, planant

Écouter l'album en entier : http://www.deezer.com/fr/album/6746810

Si vous aimez cet album vous aimerez peut-être :

  • Void, DESTRUCTION UNIT, Jolly Dream Records, 2013 : Le disque qui précède Deep Trip et également le plus enfumé de toute la discographie. Après des morceaux comme "Druglore" ou "Smoke Dreams", on comprend pourquoi ils sont aussi perchés.

  • The HorrorPOP. 1280, Sacred Bones Records, 2011 : Ça c'est qu'on appelle exceller dans le garage/post-punk glauque! Imps of Perversion, le petit (mais costaud) nouveau, sorti ce mois-ci chez Sacred Bones, bien que relativement plus calme, vaut également son pesant de noix de cajou.

  • Leave HomeTHE MEN, Sacred Bones Records, 2011 : La machine de guerre de Peter Greenberg et ses amis signant son album le plus rageur, électrique, aux croisées du punk (A l'instar de Deep Trip on se demande quand même parfois si l'on est pas tombé chez les punk coreux), de la noise, du garage, et probablement le meilleur au regard de ce qui est venu après...