jeudi 7 juin 2012

Motion Sickness of Time Travel, MOTION SICKNESS OF TIME TRAVEL, Spectrum Spools/Editions Mego, Mai 2012 (Par Riton)



       Mai est un grand mois (et pas seulement parce que je l'écris avec un M), celui de l'embarras du choix, d'un point de vue musical celui du quantitatif et du qualitatif, mais également celui du déchirement, du dilemme... car c'est pour moi, de mémoire de chroniqueur, une des toutes premières fois dans la jeune histoire de ce blog, que mes oreilles et mes doigts sur le clavier d'ordinateur, soient tiraillés à ce point... pris sur le fait d'une obligation de choix entre deux artistes : la femme et l'amante. Sauf qu'ici la femme est un homme, sombre et discret folkeux lo-fi, à mon sens de génie... Nous en avons traversé, Phil, des épreuves... toi depuis tes premières sorties en groupe, puis en solo... moi depuis mes premières écoutes, puis les suivantes, et encore celles d'après... ensemble d'un bout à l'autre de ta musique. Alors forcément, Clear Moon, constitue ce mois-ci un renouveau jouissif pour un fan de Mount Eerie, forcé de se contenter depuis 2009 d'écoutes régulières et quasi-rituelles (le soir, tard, la nuit...) de l'excellent Wind's Poem, entrecoupées du reste de la discographie (No Flashlight, Lost Wisdom et j'en passe...). Mais tu sais, Phil, la passion musicale parfois est comme la vie d'un vieux couple, la flamme est toujours là mais on se connait déjà trop... à tel point que face à un album sans fautes, un brin novateur mais pas surprenant, la moindre petite étincelle extérieure pouvait vite se transformer en excitation adolescente.

       Rachel Evans, mon étincelle de mai, co-pilote du groupe Quiet Evenings (avec Grant, son mari) officie ici seule sous le nom de Motion Sickness of Time Travel... projet résumable sous l'appelation (et néologisme maison) ambient-(dr)one-woman-band, qui va généralement de paire avec un stakhanovisme discographique extrahumain. Et c'est peu dire s'agissant d'elle, comme l'atteste son bandcamp, permettant d'écouter gratuitement l'ensemble de ses enregistrements sortis depuis l'hiver 2008.

      Artistiquement la jolie brune à lunettes au charme geek, semble se démarquer de ses petites camarades (la plupart du temps portées essentiellement sur la guitare et les pedalboards bien remplis) par un culte tout particulier voué aux machines, mentionnées et mises en évidence dans les crédits : "effects, electronics, Max/MSP, Synthetisers (Dave Smith Mopho, Korg Microkorg, Spacesynth, Kaossilator)"... et choisit d'en tirer tout le confort qu'ils puissent apporter, oublier le côté rugueux (et néanmoins intéressant, lorsque bien utilisé), couvrir cet amas de potards, de câbles, d'oscillateurs, d'un écrin de ouate confectionné sur mesure. Ses compositions électroniques, agrémentées pour cet album de curieux instruments ("Lap Harp, "Zithe") et de quelques bribes vocaux, ont toujours été d'une grande intensité, mais ne nous ont jamais transporté aussi loin... ici le voyage est à la fois plus immersif et plus complexe mais il ne s'agit pas d'un voyage géographique, ni spatial, mais plutôt temporel... un temps suspendu duquel émerge différentes couleurs, différentes textures (à l'image du spectre en liseré bordant les deux 15'' du package, déclinaison du logo de Spectrum Spools, sous-label des Editions Mego géré par John Elliot d'Emeralds, et sur lequel cet album éponyme est sorti). On est tenté par moments de se raccrocher à des éléments plus terriens, jusqu'à finalement s'abandonner entièrement à l'univers de la musicienne. On pourra tout de même trouver ses repères visuels par le biais du remarquable travail d'illustration de l'artiste Juli Elin Toro, à mi-chemin entre sculpture organique et collages abstraits colorés.

     Quatre ans après la naissance de son projet, Rachel Evans présente enfin un album-somme qui lui sied comme une pantoufle de vair, la parfaite synthèse d'un univers qui prend le temps de s'installer, qui prend le temps de s'apprécier... A noter pour finir la participation de l'éminent Lawrence English au mastering (pour la version vinyle), qu'on retrouve également en ce mois de mai, au même poste, sur le premier et excellent album du français Witxes... à écouter de toute urgence, à la suite de ce Motion Sickness of Time Travel.

Riton

Motion Sickness of Time Travel en trois mots : immersif, rêveur, voyageur


Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • Luminaries & Synatry, MOTION SICKNESS OF TIME TRAVEL, Digitalis Recordings, 2011 : L'une des pierres angulaires de la discographie de Rachel Evans, avec Seeping Through the Veil of The Unconscious (que je conseillais lors de la chronique de Birds of Passage & Leonardo Rosado). Comme son nom l'indique, un album résolument lumineux... une vraie beauté électronique.

  • They Came Up From The Hills and Down From the Sound, MOTION SICKNESS OF TIME TRAVEL, Autoproduction, 2007 : Un des premiers (si pas LE premier) faits d'arme sous le nom Motion Sickness of Time Travel... déjà relativement proche de son univers actuel, cet enregistrement fait office de petite douceur, avec en guise de dessert la preuve que la musicienne a une très jolie voix, dans une registre plus jazzy (le morceau bonus "Caterpillar Tree Song")!

  • Transcending Spheres, QUIET EVENINGS, Preservation, 2011 : Grant Evans et ses guitares + l'électronique de Rachel Evans... la preuve que l'ambient/drone est une affaire de passion (ce serait le moment idéal, là, maintenant, d'y aller de ma petite annonce...). Un album contemplatif qui retranscrit bien l'intimité dans laquelle il a été enregistré.

  • The Capital, SEAN McCANN, Aguirre Records, 2011 : Collages déstructurés de drone, d'électro et d'éléments néo-classique (le monsieur est violoniste) pour une immersion totalement psychédélique... voici ce qui fait, pour résumer grossièrement, la musique de Sean McCann, dans la tête duquel il doit se passer bien des choses.


Valtari, SIGUR RÓS, EMI, Juin 2012 (Par Gagoun)



       Sigur Rós, vous connaissez ? Oui bon d'accord ça sera pas la découverte du siècle mais cette dernière, je la laisse bien volontiers à mon Riton. Car cet album, bien que sorti sur une major, une fois n'est pas coutume, et attendu par beaucoup de monde, est un véritable coup de cœur, une surprise là où on ne les attendait pas vraiment, nos islandais préférés.

       Pour rappel Sigur Rós est un groupe de post rock islandais adoubé par leur compatriote Bjork et Radiohead en son temps, et ce depuis 1994. Ca c'est ce qu'on lit partout. Pour le reste c'est un univers lunaire, soyeux et éthéré fait de lentes montées en tension, de batteries souvent épurées, de lignes de basse voluptueuses, de pianos aux belles mélodies, de cordes délicieusement arrangées par le quatuor Amiina. Sigur Rós c'est aussi son leader énigmatique Jónsi qui, de sa voix de fausset, chante en islandais, dans une langue imaginaire ou plus récemment en anglais et joue de la guitare électrique avec un archer. Mais si souvenez vous, Jimmy Page s'acharnant sur sa guitare et malmenant ce pauvre archer qui n'avait rien demandé pour sortir des sons douteux, toujours psychédéliques. Ici point de tout ça, le Jónsi fait plutôt dans l'ambient, les nappes de guitares afin de créer un cocon agréable. Sigur Rós c'est enfin un groupe que l'on adore ou que l'on déteste. Génial, inventif, touchant pour les uns, chiant, lent, creux pour les autres. Vous l'aurez compris je fais partie de la première catégorie.

       Si le groupe a toujours privilégié les ambiances épurées, les atmosphères plutôt que les riffs (oui c'est un groupe de rock quand même!), il a aussi su prendre le contre pied de cette démarche via son dernier album en date Með suð í eyrum við spilum endalaust (quelle idée de chroniquer un groupe islandais...) dans lequel le groupe s'ouvrait au monde, chantait dans la langue de Shakespeare, accélérait le rythme, collaborait avec un orchestre philharmonique et des chœurs londoniens, enregistrait à Abbey Road plutôt que dans leur piscine désaffectée et aménagée en studio à Álafoss. Bref un vrai album pop, universel.

       Alors que l'on aurait pu croire qu'ils continueraient sur cette lancée, cette mue, et bien non, Sigur Rós nous revient en 2012 avec un album de repli total, peut-être plus épuré, éthéré et proche du néo classique que jamais. On est plus près ici d'Olafur Arnalds, de Múm ou de Nihls Frahm que de Mogwai et compagnie. Et pour mon plus grand bonheur. Absolument surprenant! Alors cet album divisera, encore une fois et de manière plus clivante encore. Mais moi j'ai choisi mon camp. Ce chef d’œuvre accompagnera mes nuits pendant un bon moment. A travers ses cordes, tantôt dissonantes, tantôt lumineuses, ses détails, ses bruits, cette électro légère, percent parfois une voix ayant abandonné l'anglais, une chanson, une basse ou une batterie, des chœurs, le point d'orgue étant surement "Varúð" et son envolée vers les cieux islandais. Les percussions sont donc très en retrait et finissent par disparaître totalement sur la deuxième partie de l'album, le chant et la basse aussi d'ailleurs. Le piano prend alors le relais à coup de mélodies enfantines et touchantes comme sur "Varðeldur" ou sur la fermeture, le bien nommé "Fjögur píanó". Comme un repli progressif sur soi. Seules les cordes restent une constante, un repère. Dans cette logique, Valtari fait la démarche inverse d'un ( ) qui, au contraire, proposait une lente montée vers une tension puis une libération électrique.

       Au final cet album est réellement un chef d’œuvre, une réelle surprise de la part d'un groupe qui avait déjà pourtant tout prouvé. Il possède un univers qui lui est propre, un univers de nuit, un univers lunaire où l'enfance a une place importante, un univers où il est bon de régresser, de s'enfermer, de se rappeler l'innocence et l’insouciance.

       Si les majors pouvaient sortir plus souvent ce genre d'albums...

Gagoun

Valtari en trois mots : néo classique, enfantin, autarcique


Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • ( )SIGUR RÓS, Fat Cat, 2002 : Comme évoqué ci-dessus, cet album était mon préféré du groupe islandais jusqu'à ce Valtari. Des mélodies superbes, une cohérence totale et un final cathartique. La bande de Jónsi se fait ici plus rock mais évoluant toujours dans cet univers qui lui est propre. A écouter de toute urgence.

  • Lumière, DUSTIN O'HALLORAN , Fat Cat, 2011 : Les Olafur Arnalds, Nihls Frahm et autres A Winged victory for the sullen ayant largement eu la part belle lors de nos chroniques précédentes, j'en profite pour vous faire partager un petit bijou néoclassique/ambient né de l'imaginaire du pianiste américain Dustin O’Halloran. A la fois contemplatif et intense, reposant et sensible. Une belle œuvre "de chambre" classique et moderne où l'ambient et le silence ont autant de place que les mélodies simples de piano et les envolées de cordes.

  • Summer make good, MÚM, Fat Cat, 2004 : encore des islandais ! Ces rois du glitch et de l'electronica sortent ici leur album le plus sombre, enregistré dans un phare abandonné. Plus difficile d'accès que ces prédécesseurs, cet album comprend de véritables perles où l'electro et les instruments acoustiques sont parfaitement en équilibre. Leur univers onirique et enfantin n'est pas sans rappeler celui de Sigur Rós.