mercredi 1 février 2012

The Broken Man, MATT ELLIOTT, Ici D'Ailleurs, Janvier 2012 (Par Gagoun)



       L'homme cassé, résigné, fataliste... De cette tristesse calme qui vous envahit une fois la nuit tombée, seule avec le silence... De cette tristesse qui vous prend aux tripes à l'approche de l'hiver, ses jours qui se raccourcissent, la neige qui tapisse le paysage. Cette neige c'est aussi celle qui vous fait voyager, vers les Balkans ou ailleurs, l'ex URSS et ses hommes fatigués, le froid, la vodka, les ruines de cette bonne vieille Europe... En tout cas c'est comme ça que je me l'imagine...


       C'est comme ça que j'aime à m'imaginer ce nouvel album de 'Sieur Matt Elliott car il est à la fois beau, simple, apaisant mais pourtant tellement triste. Pas n'importe quelle tristesse, celle quei revêt la plus belle des musiques tziganes, cette douce mélancolie, cette musique de fête pourtant teintée d'une noble et fière tristesse. Ici point de festivités, l'électro torturée de The Third Eye Foundation et les penchants noisy des précédents efforts de l'artiste s'effacent devant un dénuement total, touchant tournant autour d'une guitare abimée, d'un piano majestueux et de chœurs fantomatiques de feu l'armée rouge, seuls vestiges de l'époque où Matt Elliott jouait une musique electro sombre, riche et teintée de folie. Car ici la folie laisse place à la quiétude, voire à la résignation pour un artiste noir, une âme perdue dans les ruines du Sarajevo de jadis...


       L'album est lancé. Une guitare acoustique, la chaleur d'une pièce, un motif simple qui prend le temps de tourner et tourner encore. Une autre guitare vient s'exprimer fièrement. Et puis la voix de Matt, profonde, grave qui vous remue les tripes pour peu qu'elle prenne l'écho d'une chambre noire. Les yeux fermés, allongé sur mon lit un beau soir, me voilà parti pour un long voyage, loin de tous les tumultes de la ville, les rumeurs des informations, l'agitation de notre société. Juste Matt, sa tristesse, ma tristesse et moi, rien d'angoissant, tout est apaisant. Une noirceur pure et belle qui sait devenir majestueuse parfois avec ces grandes envolées aux allures de chorales. L'ombre de la « grande Russie » plane sur nous mais elle est d'un temps révolu, elle ne nous menace plus. De Sofia à Belgrade, de Zagreb à Skopje, nous voilà donc partis ensemble sur ces chemins âpres, en ligne droite accompagnés par cette musique folk majestueuse et éternelle, et cette voix qui nous rappelle celle d'autres âmes noires, venant cette fois-ci d'autres contrées : celle d'un Bill Callahan, celle d'un Leonard Cohen... Un violon pleure de loin. Un fantôme fredonne un air... Puis arrive un piano, un piano seul, solitaire. Il se cherche, improvise mais l'on devine aisément la classe naturelle des sentiments qu'il exprime. Il se trouve enfin et Matt se met à entonner quelques mots sur ces notes. Le long du Danube, nous avançons. Quelques carillons sonnent au loin... Les dernières pistes s'ouvrent à nous, elles sont simples, s'imposent. Le chemin est tout tracé, nous ne reviendrons jamais. Quelques réminiscences noisy viennent bien nous perturber, tentent de nous ramener à la froideur industrielle de nos villes mais elles sont trop faibles. Cette fois-ci elles ne l'emporteront pas, elle seront noyées par ces accords folks, et écrasées par la chaîne des Balkans qui se dresse fièrement devant nous.

       J'aime me nicher dans cette tristesse douce et familière. J'aime voyager, ailleurs, partout pourvu que je ne reste pas ici. L'anglais venu de la triste ville de Bristol aussi, je pense. Il incarne parfaitement cette mélancolie et sa discographie va dans ce sens. Là où d'autres arrivent à nu et revêtent les plus grands apparats au fil des albums, lui se dénude progressivement, met ses sentiments et ses envies de voyages devant nous, sans artifices.


       Allez Gagoun, il est temps de se réveiller, de revenir à la réalité. Une légère mélancolie en fond, quelques mélodies en tête, ma journée commence...


Gagoun

The Broken Man en trois mots : triste, noir, confortable


Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être : 

  • Failing Songs, MATT ELLIOTT, Ici D'Ailleurs, 2009 : Plus enlevé que son successeur, plus noisy, à noter la présence d'une batterie acoustique. Cet album est magnifique dans un genre plus rock et sur des formats plus courts. La « pâte Matt Elliott » est toujours présente. Moins introverti mais tout aussi superbe que The Broken Man...

  • The Dark, THE THIRD EYE FOUNDATION, Ici D'Ailleurs, 2010 : Dernier album en date du projet electro d'origine de Matt Elliott, cet album souvent décrié (par rapport au reste de sa discographie) est pourtant superbe. Il s'articule autour de cinq mouvements, évoluant subtilement autour d'un même thème. Entre majesté symphonique, instruments acoustiques, électro bruitiste et ambiant, drum'n bass malade, un petit bijou de mélancolie à découvrir.

  • Gulag Orkestar, BEIRUT, Ba Da Bing !, 2006 : Qui dit fanfare balkanisante enrobée dans une pop teintée de folk dit Zach Condon alias Beirut. Cette révélation indie de l'année 2006 a fait fort pour ce premier album avec sa voix hait perchée rappelant quelque peu un Sufjan Stevens aux accents tziganes. Son groupe, à la fois bancal et touchant, distille des mélodies mélancoliques et touchantes.

  • Apocalypse, BILL CALLAHAN, Drag City, 2011 : La folk décharnée, dépouillée de l'ex Smog n'est pas sans rappeler celle de Matt Elliott, voyage vers les Balkans en moins. Car aussi noir soit-il, Bill est ancré dans sa terre natale, l'Amérique, et sa musique s'en ressent. Son timbre de voix grave et captivant est une ode au frisson à lui tout seul.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire