dimanche 1 janvier 2012

Living Room Songs, OLAFUR ARNALDS / Wonders, OLIVERAY, Erased Tapes Records, Décembre 2011 (Par Riton)




       Paris, Gare du Nord - Maubeuge... solitude d'un retour crépusculaire. Il est parfois dur de quitter un endroit qu'on n'aime pas pour un autre qu'on déteste, troquer l'effervescence maladive, nervosité ambiante, contre le calme plat. Il est des voyages où les kilomètres paraissent s'éterniser, où chaque centimètre de rail parcouru semble plus long que le précédent.

       14h37 environ - Départ. Le train s'éloigne peu à peu et l'atmosphère se décompresse. Les derniers vestiges d'urbanité défilent aux fenêtres, comme repoussés. Les quelques heures de sommeils manquantes à mon compteur se manifestent déjà et mes yeux se ferment. A croire que l'inconfort coutumier des sièges en cuir orangés ne sont en rien problématiques. Et pourtant... casque vissé sur les oreilles, sélection musicale minutieusement étudiée (à tel point étudiée que je ne me souviens plus du tout de ce que j'écoutais...) et tentative de prélassement en position jambes allongées ne suffisent pas... Le chuchotement permanent de passagers et l'empiétement de mes voisins dans mon espace vital ne rendent pas la tâche aisée.

       15h30 environ - Compiègne. Déjà... près d'1h dans ce wagon et pas l'once d'un centième de repos. A l'extérieur, une brume épaisse s'élève de l'Oise, la grisaille emmitoufle la ville de manière peu rassurante et toutefois le paysage semble plus beau que celui de ma destination. Je me décide enfin à changer mon fusil d'épaule... du moins tenter de trouver la musique qui conviendra. Ólafur Arnalds... Living Room Songs... tiens pourquoi pas!? En octobre dernier l'artiste néo-classique islandais décide de réitérer l'expérience de Found Songs (2009) : offrir un morceau chaque jour pendant une semaine. Cette fois-ci les sessions sont filmées et se passent dans son salon (d'où le nom... tout simplement). Bien qu'en téléchargement libre au compte-goutte cette semaine là (et d'ailleurs toujours téléchargeables), les morceaux ne sortent sur support physique qu'en décembre et poursuivent la petite histoire d'amour entre le musicien et le label anglais, ô combien fabuleux, Erased Tapes.

       "Fyrsta", "la première"... premières notes, premières mélodies, premiers grincements du piano. Tout cela s'annonce particulièrement grandiose et étonnamment intimiste. Ecouter ce disque revient à participer, prendre place au milieu de l'intérieur coquet d'un appartement de Reykjavik, assis sur un canapé où se trouve un ensemble de cordes délicates (et mignonnes pour la partie féminine d'entre elles). Il est parfois possible de s'imaginer aux côtés du jeune chef d'orchestre dans l’exécution d'une partition à quatre mains. Ça y est je suis parti, pas endormi mais ailleurs... la petite formation à géométrie variable a eu raison de moi, réussi le pari de la proximité qui manquait en 2009. En solo ("Tomorrow's Song") ou accompagné (le reste...), Ólafur Arnalds fait de sa musique classique instrumentale quelque chose de plus palpable, insuffle une dose de quotidien à l’exigence de belles compositions... jusqu'à ajouter quelques brèves incursions électroniques lors du presque post-rock "Near Light" : de quoi présager du bon pour le reste de discographie à venir (et comme le présageait déjà un peu, à sa manière, en 2010 …And They Have Escaped The Weight Of Darkness). Uniquement 23 minutes mais sept morceaux suffisamment majestueux pour être grands, avec en final le somptueux "This Place is a Shelter" (regardez la vidéo, on aurait envie d'y être... d'y avoir été).

       Je ne le remarque pas tout de suite mais mon lecteur, toujours maître dans l'art du caprice, a décidé cette fois-ci de ne pas s'arrêter et de continuer avec l'artiste suivant. Place à Oliveray... la transition semble parfaite : même champ esthétique, même label... l'ordre alphabétique fait parfois bien les choses. Oliveray, c'est l'association de Nils Frahm et Peter Broderick... deux excellents artistes berlinois (Broderick n'est pas allemand, mais américain...). A se demander pourquoi ses messieurs ont attendu si longtemps avant d'enregistrer ensemble, rien que tous les deux... une chose est sûre : après une année aussi prolifique, ce Wonders leur permet de conclure avec brio... voire prendre un peu d'avance sur 2012. L'idée du duo est partie d'une chose simple : reprendre, ensemble, le morceau "Harmonics" d'Efterklang (groupe dont Peter fait partie, en compagnie de sa soeur Heather Woods... et d'ailleurs la seule manière que j'ai trouvé de le voir sur scène jusqu'à maintenant), en vue d'une tournée commune au Japon. De cet enregistrement, sept autres pistes en sont ressorties, en deux jours, sous le nom d'Oliveray.

       Le style n'est pas très éloigné d' Ólafur Arnalds mais l'approche est un poil différente... comme le mix parfait entre l'univers pianistique de Nils Frahm et les mélodies guitare-violon-voix ambient de Peter Broderick. Wonders alterne subtilement entre instrumentaux classiques ("Growing Waterwings" en guise d'introduction/transition), balades folk (l'excellente et discrète reprise "Harmonics"), et mélange des deux ("Hiding Hydration", "You Don't Love", "Just Resign"). Toujours plus serein, je redouble de déconcentration face à de si beaux morceaux, jusqu'au final "Dreamer", invitation à poursuivre le rêve, reprise de l'américaine Jesy Fortino alias Tiny Vipers.

       Il ne me reste plus que quelques dizaines de minutes avant d'attérir... je me repasse en boucle certains des morceaux qui ont fait mon bonheur. J'ai beaucoup plus voyagé que n'importe quel passager de cette ligne, à mi-chemin entre le manteau blanc d'Islande et l'Allemagne. Deux albums complémentaires, une écoute, une chronique... une certaine manière de rendre hommage à un des labels qui a fait 2011, certes sous le signe de la mélancolie, mais également avec l'oeil brillant du mélomane curieux d'entendre la suite.

       17h00 environ - Maubeuge, terminus... pied à terre, la température est descendue... Quitte à connaitre le froid, je retourne au grand nord...

Riton

Living Room Songs et Wonders en trois mots : majestueux, mélancolique, apaisant

Ecouter et voir : http://livingroomsongs.olafurarnalds.com/ (le lien de téléchargement des morceaux, généreusement offerts par l'artiste et les belles vidéos qui vont avec... il est sympa Òlafur!)

http://www.youtube.com/watch?v=FZJW8PJZyus (un petit extrait d'Oliveray)

Si vous aimez ces albums, vous aimerez peut-être : 

  • Eulogy For Evolution, ÓLAFUR ARNALDS, Erased Tapes Record, 2007 : premier album sous la forme de suites numériques... peu ragoutant pour un ennemi des chiffres comme moi! Mais pas de quoi s'affoler tellement c'est beau (et le sera encore plus par la suite)

  • ...And They Have Escaped The Weight Of DarknessÓLAFUR ARNALDS, Erased Tapes Record, 2010 : Toujours du Òlafur Arnalds mais un album proche du post-rock... le seul jusqu'à maintenant avec une batterie... et probablement mon préféré!

  • Felt, NILS FRAHM, Erased Tapes Record, 2011 : Sans conteste un des albums phares de 2011 dans le genre, mais également tous styles confondus... plébiscité par tous (ou presque tous) et c'est entièrement mérité! Enregistré la nuit, dans une ambiance feutrée (Le titre Felt désigne les feutres que l'artiste applique à son piano pour jouer dans son appartement sans déranger les voisins) l'album brille par sa discrétion et sa contemplativité. Tout simplement touchant!

  • How They Are, PETER BRODERICK, Bella Union, 2010 : Difficile de se retrouver au sein de la discographie de Peter Broderick lorsque l'on ne le connait pas. J'ai donc encore une fois décidé de présenter un de mes préférés... et sûrement un des plus proches du travail d'Oliveray. Belles mélodies au piano ou à la guitare acoustiques, simples arpèges, et voix exceptionnelle.

  • A Winged Victory For The Sullen, A WINGED VICTORY FOR THE SULLEN, Erased Tapes Record, 2011 : On peut reprocher tout ce qu'on veut à A Winged Victory For The Sullen, sa sur-exposition sur la blogosphère, sa pitchforkisation massive, suspecte pour un groupe de ce genre... mais surtout pas un manque de talent. Le duo, constitué de Dustin O'Halloran et Adam Wiltzie (rien que ça!), brille à travers son mélange savant de nappes de synthés et de cordes... et en plus Peter Broderick y va de sa petite apparition, au violon. (cadeau bonus, une vidéo récente du groupe en concert : http://www.youtube.com/watch?v=96dGlqSPK8I&hd=1)

  • Live at Sint-ElisabethkerkBALMORHEA, Wester Vinyl, 2011 : Je n'ai que très peu pour habitude de conseiller un album live... mais comme on dit : un excellent live vaut mieux qu'un mauvais best-of (enfin c'est moi qui le dit, je viens juste de l'inventer)... tout ça pour expliquer que face à la discographie impeccable du groupe (j'ai bien tenté de chercher pourtant!) il est difficile de conseiller un album. Mais ce live, enregistré à Gent en 2010, dans toute sa splendeur révèle un groupe encore plus beau qu'à son habitude, avec une set-list parfaite, dans un lieu à sa hauteur.

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