mardi 1 mai 2012

Joan Of Arc Presents : Joan Of Arc, JOAN OF ARC, Joyful Noise Recordings, Avril 2012 (Par Riton)



       Le visage apeuré, boursouflé par les pleurs, celle que l'on appelait autrefois Jeannette redoute bien fort ce que ces hommes pourraient lui faire... ces hommes d'église blessés dans leur foi... il est intolérable qu'une femme s'habille en homme et prétende être missionnée par le seigneur en personne. Impensable! Pourquoi leur dieu aurait-il choisi une femme, du peuple qui plus est, pour sauver la France des anglais? Humiliée, torturée, raillée, la jeune femme est jugée pour une crime qu'elle ne comprend pas, des croyances qu'elles ne devraient pas avoir... un blasphème!

       Il aura tout de même fallu 17 ans à Joan Of Arc pour enfin décider de mettre en musique cette histoire, et réellement donner corps à son oeuvre... 17 ans, depuis sa création, que le groupe n'a de cesse de déconstruire l'image de son passé au sein de la scène emo-rock américaine (bien entendu ici "emo" n'a rien à voir avec ces musiciens et fans mécheux dépressifs). Il s'en est passé des choses depuis 1995, lorsque soudainement les Cap'n'Jazz, alors au plus haut point de leur forme influente, décidèrent de se quitter. Aujourd'hui nous sommes en 2012 et la mafia des frères Kinsella a eu tout le temps de s'étendre et prendre part à une demi-douzaine de projets (un arbre généalogique n'est dans ce genre de cas jamais de refus : ici), de Make Believe à Owls, en passant par American Football et justement Joan Of Arc, et de s'installer parmi les plus fidèles résidents du label Polyvynil et de sa sous-section Joyful Noise. On peut aisément considérer Joan Of Arc comme le terrain de jeu, le défouloir... le projet le plus versatile et instable que ces messieurs (épaulés par des dizaines de musiciens notables de Chicago, dont Victor Villareal, Bobby Burg et Theo Katsaounis) aient pu créer : math-rock aux relents vocaux emo-juvéniles-éraillés, tantôt plus acoustique (Boo Human, en 2008), plus poptronique (Flowers, en 2009) et la plupart du temps complètement foutraque (The Gap, en 2000, probablement le plus complet et fouillé à ce jour). Mais pas l'ombre d'une référence à la pucelle d'Orléans avant cette année... du moins l'année dernière, à l'occasion d'un ciné-concert lors du Chicago International Movies and Music Festival, en accompagnement du film de 1928 réalisé par Carl Theodor Dreyer : La passion de Jeanne d'Arc. Ce n'était pourtant pas la première fois que le groupe composait une bande-son, laissant à Orchard Vale, réalisé par Tim Kinsella en 2007, la primeur de cet exercice. Oh Brother (2011), avec ses 80 minutes, aurait bien pu à sa manière en être une autre, pas du film des frères Coen, mais une oeuvre un peu plus expérimentale... voguant sur des territoires arides, free-jazzants.

       17 ans donc... comme le temps nécessaire pour faire le tour de la question, retourner le problème dans tous les sens, arriver à un son et un style qui rendrait dignement hommage au nom du groupe... et retranscrire la tension qui règne dans le film de Dreyer, ces jeux de regards permanents : d'un côté celui de l'incroyable et impressionnante Mlle Falconneti et de la meilleure interprétation du rôle de Jeanne d'Arc dans l'histoire du cinéma (une bonne leçon de comédie et de jeu d'expressions à Milla Jovovich...) et de l'autre celui de la religion, braquée, campée sur les positions de son carcan, celui de ses accusateurs, parmi lesquels comptent notamment Antonin Artaud et Michel Simon. La tension est renforcée par la lenteur du propos musical, les quelques accords rampants, répétés religieusement, un jeu presque westernisant allant jusqu'à rappeler le Dead Man de Neil Young, plus ambient avec parfois ses quelques notes de synthé soutenues, plus bruitiste également... une tension qui s'amplifie au fur et à mesure du procès, la musique se déstructure, comme se déstructure la situation de la jeune femme, forcée à admettre ses péchés, et finalement se rétracte, quitte à mourir de sa foi, sur le bûcher, sous les coups des guitares distordues et la chaleur des flammes... qu'importe, elle est une sainte.

       Pari réussi, Joan Of Arc Presents : Joan Of Arc, se montre comme un de ces beaux anachronismes artistiques, la rencontre d'un chef d'oeuvre du cinéma muet français avec un groupe d'indie-rock américain semblant lui vouer une admiration certaine... assurément un pied de nez de ma part au défilé traditionnel bleu-marine du 1er mai en hommage à Jeanne d'Arc, fâcheusement symbole, chez nous, de la récupération des mythes à visée politique...

Riton

Joan Of Arc Presents : Joan Of Arc en trois mots : tendu, intense, épique

Ecouter : http://www.deezer.com/fr/music/joan-of-arc/joan-of-arc-presents-joan-of-arc-1710686 (le mieux est encore de synchroniser la bande avec le film)

Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • Oh BrotherJOAN OF ARC, Joyful Noise Recordings, 2011 : Quatre mouvements d'environ 20 minutes chacun, en collaboration avec 14 musiciens dont Zach Hill (que l'on ne présente plus) à la batterie et Rob Lowe alia Lichens... un album (ou plutôt quatres albums en un seul) dense, contemplatif et perturbant, le plus libre du groupe.

  • Live In Chicago, 1999, JOAN OF ARC, Jade Tree, 1999 - The Gap, JOAN OF ARC, Jade Tree, 2000Life Like, JOAN OF ARC, Polyvynil Record Company, 2011 : Tour d'horizon sélectif sur la discographie pré-Joan Of Arc Presents : Joan Of Arc avec ces trois albums : un non-live (le "Live In Chicago" ici fait référence à la ville de résidence du groupe) mélodique, l'art de partir dans plusieurs directions et en faire de belles choses (comme dit dans la chronique) et la rencontre avec Steve Albini.

  • Nosferatu Eine Symphonie Des Grauens Soundtrack 1922, a.P.A.t.T, Autoproduction, 2011 : Le petit plus découverte, un groupe qui me tient à coeur et qui n'en finit pas de me surprendre (un conseil, s'il passe par chez vous, foncez les voir) : ici même exercice, jouer par dessus un des films phares du cinéma muet. Il faut avoir leur culot pour s'attaquer à Murnau de la sorte. Attention, ça commence comme du doom bien gras, mais ça n'est pas gras! A écouter (ou acheter) : ici (http://apatt.bandcamp.com/album/nosferatu-eine-symphonie-des-grauens-soundtrack-1922)

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