Ty est est un homme pressé. N'y
voyez là aucune allusion artistique franchouillarde, juste la
sensation d'avoir devant nos yeux un artiste qui multiplie les albums
comme d'autres multiplieraient les petits pains. N'y voyez là aucune
allusion religieuse... Pour cette année, pas moins de trois albums
nous seront proposés par le grand roux sous diverses formes et
autres formations. Il est jeune, il est beau (bien que roux mais n'y
voyez aucun appel à la discrimination surtout) et, ce qui nous
intéresse, il a du talent. Beaucoup de talent.
Alors penchons nous sur
ce premier volet de 2012 sorti en ce début de mois sur le légendaire
label Drag City. Le monsieur n'est pas seul, cette galette est en
fait une collaboration avec Tim Presley, alias White Fence, son pote,
son alter ego musical, moins prolifique certes mais tout aussi
intéressant et ayant eu pour fait d'arme notable d'avoir supporté
Mark E. Smith en tant que guitariste au sein du non moins légendaire
post-punkisant groupe The Fall. La couleur est annoncée : ici
point de guimauve, de jolies mélodies soyeuses, d'ambient éthérée
ou de lyrisme exacerbé (je n'ai rien contre : cf les chroniques
précédentes!), tout est rock'n roll, psychédélisme, crade,
débridé, fou, garage... Les deux musiciens font en effet partie de
cette scène garage rock psyché qui émerge de manière assez
impressionnante autour de la Californie. Les groupes se multiplient
et allient ainsi la spontanéité rock des premiers punks, pas celle
des Sex Pistols (n'y voyez là aucune allusion salace) mais plutôt
celle d'Iggy Pop and the Stooges ou des New York Dolls avec le
psychédélisme des années soixante, 13th Floor Elevator
et Jefferson Airplane en tête. Et encore tout ceci reste réducteur
tant ce raz de marée musical, qui envahit notamment San Francisco et
Atlanta, tend à s'amuser avec toutes les musiques anglo-saxones,
qu'elles soient rock, pop, folk ou autres, pourvu que ce soit du bon.
S'affranchir des frontières et casser les étiquettes, autant dire
que le cocktail est détonnant. Ty Segall se fait d'ailleurs
l'ambassadeur médiatique car médiatisé de cette nouvelle scène
américaine.
Ce Hair est donc
fidèle à toutes ces caractéristiques. C'est une petite bombe, un
condensé explosif (à peine trente minutes, mais quelles minutes!)
de ce qui se fait de mieux en matière de garage rock psychédélique.
D'abord le son : comme tout bon groupe punk qui se respecte,
celui-ci doit être crade, donner l'impression d'assister à une
répèt avec les copains. De ce point de vue l'album est une
réussite. Ici le son vit, avec ses hasards heureux et ses aspérités.
Il n'est pas compressé, la musique nous est envoyée brut, in
your face. Les solos de guitare (on dit pas solis ici
parce que ça fait pas rock'n roll) sont à la limite de la
sursaturation. La batterie envoie du lourd et la basse sonne comme
dans les années 60. Nous voilà en terrain connu. Mais sous ces airs
de « sans rien y toucher », la production est aussi et
paradoxalement un vrai travail d'équilibriste. Car le psychédélisme
implique un jeu avec le son, la stéréo, les effets sonores en tout
genre. Un son brut mais halluciné. Veuillez vous référer à la fin
en forme de feu d'artifice de "The Black Glove/Rag" par
exemple. Du bon son en somme.
Niveau compo, aucune
faiblesse à l'horizon. L'album alterne les ballades psyché et les
morceaux plus pêchus, tout aussi pysché mais véritables défouloirs
rock. Aucun temps mort n'est permis, ça gratte, ça hurle, ça file
des hallus (n'y voyez là aucune allusion à l'apologie de certaines
substances, quoique...), c'est efficace, ça fout la pêche. On sent
l'urgence, l'impérieuse nécessité de s'exprimer mais aussi de
s'amuser. Petite faiblesse personnelle pour la clôture "Tongues",
sa ligne de basse et son groove psychédélique.
Cet album est un
véritable terrain de jeu ou aucune limite n'a été dessinée. Et
tant mieux. « Hair » décoiffe. On se prête volontiers à
l'expérience pourvu qu'on ressente le besoin de partir en courant
dans la rue, nu de préférence et crier à tue tête que non, le
rock'n roll n'est pas mort. Toute autre forme d'expression liée à
cette musique est également valable.
Gagoun
Hair en trois
mots : crade, halluciné, défouloir
Ecouter un extrait : http://www.youtube.com/watch?v=YkL26bcfUG0
Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :
- Goodbye Bread, Ty Segall, Drag City, 2011 : Dernier album en date du 'Sieur avant ce Hair, Goodbye Bread s'inscrit dans cette lignée évoquée précédemment. Moins débridé, plus posé cependant que sur ces albums précédents, Ty Segall atteint ici une certaine maturité dans la composition avec des morceaux à tomber et des mélodies à incruster dans les têtes.
- Is Growing Faith, White
Fence, Woodsist, 2010 : White Fence vous présente son deuxième
album. Plus nostalgique des années 60 et fidèle à cette époque
que Ty Segall, moins enclin que son compère à exploser les
barrières, cette oeuvre est un bel hommage à la pop psychédélique
des années hippies.
- Let It Bloom, Black Lips, In the red, 2005 : Ces gamins d'Atlanta sont des grands malades. Toujours dans cette mouvance rock'n roll nouvelle, les Black Lips crachent leurs morceaux DIY sans se préoccuper une seule seconde de l'appartenance à un mouvement, à une tendance. Ils s'amusent, jouent la musique qu'ils aiment avec une classe et une insouciance indéniables, point barre. Et mine de rien ils ont un sacré talent de composition. Larry Hardy, fondateur du label In the red rapporte au magazine New Noise à propos d'un de leurs concerts donné à Chicago en 2002 : « Ils étaient incroyables. C'était de la pure folie. Ils avaient un sampler qui ne s'arrêtait pas, répétant sans cesse un cri, ils se battaient à coup de poings sur scène. Cole envoyait des gerbes de vomi et on aurait dit qu'il faisait ça à volonté. C'était purement malsain, le chaos total » (extrait du magazine "New Noise" n°7, Novembre-Décembre 2011). Ambiance...
- West, WOODEN SHJIPS, Thrill Jockey, 2011 : Excellent album que voici. Produit de manière plus traditionnelle mais toujours barré, ce moment de musique nous offre ce qui se fait de mieux actuellement en matière rock psychédélique, hypnotique et hallucinatoire. Presque un album de transe.
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