samedi 1 décembre 2012

An Almost Silent Life, DAKOTA SUITE, Glitterhouse Records, Novembre 2012 (Par Gagoun)



       Chris Hooson n'est pas un gai luron... Et moi qui voulait, pour une fois, vous parler de quelque chose de plus pop et léger à travers le dernier Phantom Buffalo (que je vous conseille vivement au passage), ben c'est raté. Ne me remerciez pas... Amis que la joie en musique ennuie profondément, amis pour qui le vide et la lenteur sont synonymes d'exutoire, voire de bien-être, amis dépressifs, soyez les bienvenus ! Ça fait rêver comme introduction non?!!?

       Si le monde dans lequel nous vivons a horreur du silence et de la tristesse de l'autre, l'homme qui se cache derrière Dakota Suite n'en a cure. Cela fait près de seize ans que le bonhomme traîne son spleen d'albums en albums sous le regard presque indifférent du monde de l'indie. Une discographie pléthorique à faire pâlir Robert Pollard (non j'exagère un peu là...), plusieurs pépites estampillées slowcore ou sadcore selon l'humeur, ça vous pose le contexte. Quelque part entre la folk de Mark Kozelek, l'ambiance épurée de Low et l'art du silence en musique cultivé par Mark Hollis en son temps, l'artiste accompagné de fidèles musiciens comme Quentin Sirjack, John Shepard et Dag Rosenqvist, qui vont et viennent au gré des musiques et des galettes, donne toujours l'impression de chercher l'émotion juste, sans éclats de voix, sans artifices.

       L'épure : voici un mot qui sied parfaitement à son œuvre et plus que jamais à ce An Almost Silent Life. Chris Hooson explique d'ailleurs sur le site de son label qu'il la recherche au maximum. De toutes les versions des morceaux qui ont été enregistrées pour l'album, il a donc choisi les plus dépouillées. Le résultat est vraiment très beau, sonne un peu comme l'éloge de la banalité de la vie. Son dernier album en date, The Side of her Inexhaustible Heart, ne faisait déjà pas dans les arrangements pompeux, oserais-je dire ''Muse-esques'', et la joie de vivre, entre musique classique de chambre et folk décharnée. Celui-ci redonne une place à la batterie, souvent feutrée, et aux instruments électriques mais s'articule essentiellement autour d'une guitare, du magnifique piano de Quentin Sirjak et de la voix fragile, à fleur de peau de Chris Hooson.

       On se prend alors à deviner les esquisses de mélodies, le murmure du chant, à prêter l'oreille à chaque détail qui prend toute son importance au sein de ces chansons aux structures faméliques, peu assurées mais qui révèlent, pour peu qu'on se laisse envahir par cet univers sombre, des trésors de mélancolie et de belle sincérité. Heureusement pour nous, l'homme se dit être dans une période heureuse. Il a le bien-être joliment noir quand même notre ami. Il faut dire qu'il a des tendances dépressives, ceci explique sans doute cela...

       Le morceau d'ouverture ''I see your tears'' est splendide par le spleen qu'il dégage tout comme le suivant, ''If You've Never Had To Run Away'', son piano mélancolique, sa basse mélodieuse. Cet album démarre très fort donc. Les ballades, très souvent acoustiques, s’enchaînent naturellement. Elles se font et se défont à la faveur de ses accords de guitare ouverts, amples, d'un piano délicat, de cordes discrètes, sur le fil, d'une batterie légèrement jazzy et d'autres petites surprises comme autant de trésors lâchés précieusement ça et là. Quelle beauté ce piano qui parcourt ''Everything Lies''! Et ce clavier quelque peu suranné sur l'instrumentale « Lumen »... D'ailleurs l'album lui même tend vers une épure et un silence qui convient parfaitement à l'ambiance générale. Ainsi la voix disparaît sporadiquement sur quelque morceaux dont le légèrement groovy ''Wanneer De Pijn Ons Doet Scheiden'' pour finalement disparaître presque totalement sur les deux dernières chansons, ne se faisant plus l'écho que de quelques accords de guitare sur la clôture ''Without You'', elle-même dominée par une batterie dénudée de tout apparat mélodique. Le sommet de l'album reste sans doute ''Don't Cry'', une simple ballade, toujours au piano qui s'étire quelque peu sur quelques mots, quelques notes, une esquisse de mélodie, une interprétation à fleur de peau et une sensibilité qui vont droit au cœur. Somptueux! Dans l'ensemble, les morceaux se font plus courts que sur l'opus précédent et l'ennui ne pointe jamais le bout de son nez. Attention tout est à relativiser, non Dakota Suite ne fait pas encore dans le format grindcore!

       Il est à noter que cet album a un frère presque jumeau puisque Chris Hooson a décidé de lui joindre une galette complémentaire joliment intitulée Accompanying music from other rooms et qui comporte quelques unes des versions alternatives de An Almost silent life. Il s'écoute par ici : http://dakotasuite.bandcamp.com/album/accompanying-music-from-other-rooms Chacun y trouvera sans doute son compte ou voudra simplement prolonger le plaisir.

       Voilà, en cette période grise, il me semble que le propos est de rigueur, la musique aussi. Si vous êtes dans un moment un peu morose, si le moral n'est pas terrible, Dakota Suite sera toujours là pour enfoncer le clou à coups de voix traînantes et de guitares fatiguées. Alors, merci qui?

Gagoun

An Almost Silent Life : touchant, dépressif, beau

Ecouter un extrait :http://www.youtube.com/watch?v=qDxasST_ADc&feature=player_embedded (ou écouter en intégralité sur spotify)

Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être : 

  • This River Only Brings Poison, DAKOTA SUITE, Glitterhouse, 2003 : Difficile de faire un choix dans la longue discographie de Chris Hoosen tant celle-ci est constante, homogène et traverse le temps qui passe quoiqu'il arrive, reste toujours fidèle à un même idéal d'épure organique et de spleen quotidien. Tout juste on retiendra ce très bel album aux arrangements légèrement plus présents et aux mélodies un peu plus assurées. Tout ceci est bien entendu relatif, la lenteur est toujours de mise, la fragilité et l'épure également. Superbe donc!

  • ...Is With The Demon, TROY VON BALTHAZAR, Vicious Circle, 2012 : L'occasion pour moi d'évoquer un artiste qui me tient à cœur. Troy Von Balthazar est un personnage attachant, à l'image de sa musique. Le leader de Chokebore a véritablement entamé une carrière solo en 2005. Trois albums plus tard, il est devenu un songwriter magnifique et touchant, loin de la connivence avec Nirvana dans les années 90 et de l'image de rockstar naissante que cela laissait augurer. Contrairement à un précédent exercice tout en jolis arrangements, en bricolages pop, folk et rock, … Is with the demon se veut un album plus sombre, toujours mélancolique, de ballades épurées comme jamais, parfois approximatives, encore bricolées. L'hawaïen s'amuse avec ses guitares comme avec ses claviers d'enfants, ces mini pianos même si cette fois-ci, exit les boites à rythme basiques, binaires. Car Troy Von Balthazar est un grand enfant. Il le retranscrit d'ailleurs parfaitement sur scène en créant un univers intimiste, celui d'une chambre où se côtoient jouets musicaux et guitares devant le regard attendri des spectateurs. Mais si la naïveté pointe le bout de son nez, elle est toujours teintée d'une tendre mélancolie, de ces accords qui vont droit à la cible, de cette voix délicieusement fragile et haut perchée. Le monsieur aime régresser mais il aime aussi la gravité d'un Léonard Cohen. L'alchimie n'en est que plus belle et ce dernier album en date, sorti le mois dernier, en est la preuve. Écoutez simplement le single "Tiger vs Pigeon" puis plongez dans son univers.

  • You Were A Dick, IDAHO, Talitres, 2012 : Drôle de titre d'album quand on connaît le contenu de celui-ci... Car la musique de Jeff Martin n'est que délicatesse. L'artiste, qui n'avait rien sorti depuis longtemps, nous propose ici un bel album à l'univers proche de celui-de Dakota Suite, comme il a l'habitude de nous servir depuis les années 90. Alternant instrumentaux, ballades désarmantes tantôt amenées par une batterie plus ou moins traînante, tantôt par un piano chaleureux ou une guitare au son qui lui est propre, l'auteur est ici au sommet de son art. Sa voix, les intonations qu'elle prend vous transperce parfois. A l'exception d'un ''Space Beetween'' légèrement plus enlevé, cette œuvre est souvent contemplative, lente et confortable. Petit coup de cœur pour la simple et néanmoins magnifique ''Someone relate to''. Magnifique album de chevet, vraiment.

  • Autumn Birds Songs, JASON MOLINA, Graveface, 2011 : Un peu à l'image de Chris Hoosen, Jason Molina a une longue carrière de songwriter derrière lui, notamment à travers Songs : Ohia et Magnolia Electric Co. Un peu comme Chris Hoosen, Jason Molina ne respire pas la joie de vivre, a connu des soucis de santé, des soucis financiers et a dû arrêter la musique quelque temps. Cet album marque donc un retour espéré depuis 2009. Il revient sans crier gare, à notre grande et heureuse surprise, mais toujours de manière discrète et timide. Ainsi les huit chansons qui composent ce mini album, par ailleurs accompagné d'un livre illustré par William Schaff (qui a déjà œuvré avec Okkervil River, Gravenhurst ou encore Godspeed You Black Emperor!), sont totalement dénudées. Le duo guitare/voix bénéficie d'un traitement du son réellement lo-fi, comme si les morceaux, telles des ébauches écrites il-y-a plusieurs années, nous étaient envoyées à la face, brutes, sans artifices, comme si l'artiste reprenait tout à zéro, à l'essence même de sa musique folk, terriblement triste et bien entendue touchante. Le début d'un second souffle?

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