Une musique rare et précieuse, bricolée
dans une mélancolie régressive par un grand enfant. Voici comment
on pourrait définir la musique de Ryland Bouchard, l'homme qui se
cache derrière The Robot Ate me. Alors le principe n'est pas
nouveau, il est même à la mode. Perfume Genius, Bon Iver, Emperor
X, Hospital Ships, Youth Lagoon et j'en passe, les adeptes d'une
pop/folk fabriquée avec des bouts de ficelles dans la chambre
sont nombreux. Le truc, c'est que The Robot Ate Me c'est un peu tous
ces artistes à la fois et en même temps un style qui n'appartient à
personne d'autre. Le groupe existe quand même depuis 2002 et son
génial et inégalé They Ate Themselves. Il en a
fait des émules, celui là. Faut-il vous les re-citer?
Bon et si on causait musique : en gros mise à part
l'étiquette pop folk fabriquée avec des bouts de ficelles dans la chambre,
l'ami Bouchard compose des piécettes de musiques parfois lo-fi
qui tournent autour d'une guitare, qu'elle soit acoustique ou
électrique, ou d'un clavier vintage. Vous ajoutez à cela des
boucles de batteries ou des beats électroniques, des arrangements
plus ou moins discrets de cordes et de cuivres, une voix haut perchée
touchante et surtout un gros grain de folie. Car les structures des
morceaux sont souvent maltraitées, passant d'un rythme à l'autre
sans crier gare, délaissant soudainement une mélodie à pleurer
pour une expérimentation sans queue ni tête apparente. Les chansons
sont souvent courtes et s’enchaînent avec fluidité de manière à
ce que l'entité soit cohérente malgré ce bordel géant, ce manège
enchanté mais cabossé. On pense parfois à un Neutral Milk Hotel
lunaire ou à des Microphones qui auraient trouvé l'interrupteur
pour la lumière.
Alors qu'a encore à proposer The Robot Ate Me
aujourd'hui ? L'apparition surprise de ce sixième album
constitue déjà un bel évènement en soi pour les amateurs du
groupe qui attendaient patiemment depuis sept ans. Après quelques
messages laissés sur les réseaux sociaux et extraits alléchants
distribués fin 2012, Ryland Bouchard annonçait ces derniers jours
vouloir s'éloigner du circuit traditionnel de l'industrie musicale.
Lui, le natif de Los Angeles, venait d'acheter une ferme en Hongrie
et partait s'y installer pour faire de la musique autrement. En
attendant il était en train de trier trois années de musique pour
proposer un nouvel album. Miam!
Bridge by Bridge, c'est le nom de ce nouvel opus, très court, trente
minutes à peine. Trente minutes qui incitent à savourer chaque
instant. Pour les éventuels frustrés ne vous affolez pas, l'auteur
assure que ce n'est que la première partie de l'album et que deux
autres suivront de près. Ah les joies d'internet et de ces
distributions originales... Parlons musique maintenant : le
bonhomme s'est assagit. Le contenu se rapproche plus de la folk/pop
épurée et linéaire de son Carousel Waltz de 2005
que de sa dernière galette en date Good World, plus
expérimentale pour le coup. On ne parle même pas de « On
vacation ». A chaque œuvre de The Robot Ate Me sa singularité,
son univers. Si l'introductive ''The Earth Turns Around'' pose les bases et enchaîne quelques mélodies et rythmes différents
de manière abrupte, c'est pour mieux présenter l’atmosphère
générale qui composera la suite. De l'indie rock, une electro plus
légère qu'à l'accoutumée, quelques touches jazzy et une ambiance
proche de la dream pop, inédite pour le groupe. Car si Ryland
Bouchard est le seul maître à bord, il est toujours très bien
entouré. Ici on retrouve Chad Metheny, officiant dans Emperor X,
mais si rappelez vous... D'autres
musiciens sont de la partie : DL de Dumb Lunch, Lisa Vironda et
Tony Ruland de The Lonely Forest. Les arrangements sont à la fois
plus planants et minimalistes, la voix est cachée derrière une fine
couche de brouillard. Et quand elle est plus assurée elle laisse
place à des chansons organiques plus rythmées. Les deux parties
d'''A Light in Darkness'' illustrent parfaitement ce
propos. ''A Part of Eachother'', quant à elle,
constituerait un vrai tube si elle ne nageait pas sous cette
instrumentation texturée emmenée par cette rythmique fragile,
presque approximative et d'autant plus touchante et humaine. Et c'est
bien là la force de cet album : donner à l'ambiance éthérée,
planante de cet univers une chaleur intimiste et et pleine de vie.
Autre fait appréciable, les touches de piano et de cuivres sont
disséminées avec parcimonie ce qui les rend encore plus précieuses.
Aux interludes se succèdent alors des vraies belles chansons au sein
d'un album qui suit finalement sa propre logique : on évolue
progressivement d'une légère euphorie electro à une dream pop
calme et lumineuse puis un indie rock un peu plus pêchu avant de
s'éteindre sur des ambiances jazzy. Tout ceci ne nuit aucunement à
la cohérence de l'album tant il est emprunt d'un son qui lui est
propre, et ce même si il n'est pas issu de la même session
d'enregistrement, et d'une âme qui n'appartient qu'à Ryland
Bouchard.
Ce disque, qui n'en est pas vraiment un puisqu'aucune sortie
physique n'est annoncée et qu'il n'est pas complet selon les dires
de son auteur, est donc une belle réussite de la part d'un groupe à
part, justement. Un groupe ou un homme, peu importe, qui tient une
place discrète et un peu particulière dans ce monde foisonnant de
l'indie. Et si vous désirez prolonger le plaisir, vous pouvez
toujours enchaîner sur l'autre facette du monsieur, plus solitaire,
plus folk mais pas moins magnifique. Sous son propre nom, Ryland
Bouchard est également actif. Depuis novembre 2012, il propose par
exemple d'écouter, sur son bandcamp, une collection de reprises et
de compositions intitulée Hope Rides Alone, qu'il a
enregistrée entre 2010 et 2011 et qui est simplement sublime. Un
parfait complément , une nouvelle pierre à son grand œuvre. En
attendant la suite... Mais pas dans sept ans, hein Ryland!
PS: Oui parce que nous,
maintenant on ajoute des post scriptum à nos chroniques, c'est
bizarre mais c'est comme ça! Alors Ryland, ok on t'a dit ''pas
dans sept ans'' parce que ça nous ferait plaisir d'avoir de
tes nouvelles régulièrement etc. Ceci dit tu n'étais pas obligé
de sortir un ep deux jours seulement après avoir mis à disposition
ton nouvel album... A ce rythme là, la chronique, on va devoir
l'actualiser plus souvent que notre situation auprès de Pôle
Emploi... Bref Circumstance est dans la droite lignée de ce
qui a été évoqué plus haut, dans une veine plus electro pop peut
être et avec même une pincée de lo fi sur la fin. Il va sans dire
qu'il s'agit d'un court bonus, format ep oblige, mais qui peut
parfaitement prolonger le plaisir, au même titre que le Hope
rides alone dont nous vous parlions il y a quelques lignes.
Enjoy et point FINAL.
Gagoun
Bridge by Bridge en
trois mots : bricoleur, rêveur, touchant
Pour
écouter Bridge by Bridge sur le bandcamp de l'artiste, c'est
par ici :
Pour
écouter Hope Rides Alone sur le bandcamp du même artiste,
c'est par là :
Pour
écouter Circumstance sur le bandcamp du re-même artiste,
c'est par ici ou par là, enfin suivez le lien quoi :
http://music.rylandbouchard.com/album/circumstance
Si vous aimez cet
album, vous aimerez peut-être :
- Carousel Waltz, THE ROBOT ATE ME, 5RC, 2005 : Peut être l'album le plus accessible du groupe mais pas le moins intéressant pour autant. Une œuvre folk plus rêche que celle chroniquée ci-dessus mais pleine de mélodies inspirées, d'arrangements discrets et toujours cette voix, plus touchante que jamais... Splendide!
- Goodnight Danii, DREW DANBURRY, Emergency Umbrella, 2010 : outre l'amitié qui lie les
deux hommes, il existe aussi un même amour des belles mélodies et
de l'artisanat dans leurs musiques respectives. De facture plus
classique que chez Ryland Bouchard, les compositions restent à fleur
de peau, la voix du monsieur n'hésitant pas à se laisser aller à
quelques éclats de temps à autre. Un bel album.
- Pocket symphonies for lonesome subway Cars, CASIOTONE FOR THE PAINFULLY ALONE, Tomlab, 2001 : Comme son nom l'indique Casiotone for the painfully alone base ses petites compositions sur un clavier... vintage, pour rester poli. Sons synthétiques, boites à rythmes magnifiquement pourries, lo fi pure et dure, la musique d'Owen Ashworth est sombre et magnifiquement régressive à la fois. Alors quel rapport avec The Robot ate me me direz-vous? Hé bien cet amour des piécettes bricolées qui possèdent la maturité indie, le ton mélancolique de l'adulte et l'amusement simple et primaire de l'enfant. Du rock quoi!
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