jeudi 4 avril 2013

I See Seawed, THE DRONES, ATP Recordings, Mars 2013 (Par Gagoun)



       Gagoun« J'aime bien The Drones! » Interlocuteur inculte : « Arf encore un groupe en "The"  ?!!? C'est quoi ça? Une nouvelle hype indé de jeunes musiciens branchés, un peu rock mais pas trop, un peu provoc' mais pas trop, un peu punk mais pas trop, un peu indé mais pas trop, un peu... ? Un peu tout mais pas grand chose! » Gagoun : « Non pas vraiment, du rock oui mais celui qui casse les oreilles, qui crie, qui oublie le format chanson, le noise, le blues, le punk et puis ça existe depuis la fin des années 90 quand même ! C'est juste leur neuvième album ! Ils ne sont pas anglais, américains ou canadiens, ils sont australiens, plus du côté Nick Cave que du côté Tame Impala de la force ». Interlocuteur inculte : « Ah ils font du rock là-bas? Avec un tel accent, c'est possible?!!?».

       Bon arrêtons là, il est nul ce faux dialogue. Et puis il n'y a pas d'incultes ici, il n'y a que des curieux, des défricheurs de talent et des explorateurs musicaux ! Lecteur, je t'aime... Bref tout ça pour dire que The Drones, c'est cool, ça fait son petit bout de chemin depuis une quinzaine d'années en toute discrétion. Découvrant l'existence de cet album au moment même de sa sortie, je ne m'attendais vraiment pas à une telle surprise mais le coup de cœur est finalement bien là, coiffant au poteau mes envies de chroniques de Julian Lynch et autres Aidan Baker (rien à voir, je sais...).

       Après les errances solitaires et acoustiques de son foufou de leader Gareth Liddiard il y a trois ans, revoilà le groupe, frappé du sceau du kangourou, au grand complet, toutes guitares dehors et plus inspiré que jamais. Huit longs morceaux en forme de montagnes russes sonores et émotionnelles nous sont ainsi proposés. Entre immédiateté rock mid tempo (exceptée "A Moat you can stand in" qui constitue une bonne récréation punkisante entre deux choses sérieuses), un sens de la composition aigu et des dissonances noisy, The Drones nous embarque dans leur ascenseur, un ascenseur pas vraiment en apesanteur (ah ah... pardon...), plutôt du genre en plomb et rugueux... mais avec quelques surprises et nuances auxquelles les musiciens de Melbourne ne nous avait pas forcément habitués. On notera par exemple l'arrivée d'un nouveau membre en la personne du pianiste Steve Hesketh qui amène un peu de douceur dans ce monde de brutes. La bassiste Fiona Kitschin, quant à elle, joue les choristes sur les excellentes "Nine Eyes" (son solo de guitare jouissif : miam!) et "Naika". Tiens « Naika », parlons en : sûrement le morceau le plus surprenant du répertoire des australiens, convoquant une horde de violons presque baroques pour appuyer, l'espace de deux courts instants, une monté dramatique inexorable. Passé le « oh mon dieu, pas ça ! Pas eux ! Super pompeux ! », on s'habitue parfaitement à cette curiosité qui réveille le cœur de midinette que nous avons tous un peu en nous, même si nous n'osons nous l'avouer. Si, si, inutile de nier ! Une fois remis de toutes ces émotions nous arrive la clôture de l'album, j'ai nommé "Why Write a Letter That You'll Never Send". Cette ballade est absolument magnifique, simple et belle. Là aussi on y retrouve le chœur féminin, le piano sobre et les vagues d'émotions. L'album s'achève ainsi, sur quatre notes entonnées quasiment a cappella par Gareth Liddiard, tout en retenue mais pas sans émotion.

       Car c'est bien là la grande force de ce groupe : un chanteur volubile, écorché capable d'interprétations totalement habitées, débridées mais aussi pleines de nuances. Cet artiste possède une voix à vous faire dresser les poils du gros orteil gauche, à tirer une larme à un technocrate travaillant à la banque centrale européenne. Et ça fait du bien ! A l'heure où les voix éthérées, nonchalantes et autotunées tiennent souvent le haut du pavé, il est parfois agréable d'entendre quelqu'un mettre ses tripes sur la table sans passer par quatre chemins, nous procurer des émotions franches et directes, à l'ancienne. C'était le cas de Carey Mercer lors de ma précédente chronique. C'est plus que jamais le cas ici. Ces mecs ont du blues, de la rage dans la voix et à l'âme, ils nous le font savoir.

       Alors voici un album coup de cœur, un vrai, qui revient régulièrement dans le quotidien, sans en avoir l'air. Certes il y a bien quelques petits défauts à relever mais rien de comparable au bien être simple et à l'exutoire que provoque cette belle petite tranche de rock un peu noisy. Ouep, j'aime bien The Drones!

Gagoun

I see seaweed en trois mots : rock, noise, habité

En écoute sur deezer : http://www.deezer.com/fr/album/6306535

Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :

  • Here Come The Lies, THE DRONES, Spooky Records, 2002 : The Drones en mode « encore plus énervé que maintenant »... Plus enlevé en tout cas... C'est du tout bon, ça envoie du gros son, crade, lo fi parfois. On pense à Nick Cave, à John Spencer Blues Explosion aussi, il y a pire comme comparaison! Mentions spéciales à "Dekalb blues", "I'd been told" et "Hell and haydevils", splendides!

  • Strange Tourist, GARRETH LIDDIARD, ATP Recordings, 2010 : The Drones en acoustique? C'est possible! Si le groupe ne se résume pas à Garreth Liddiard, la voix et le jeu de guitare de ce dernier montrent ici à quel point il est indispensable à la personnalité du son des australiens. Voici donc notre chanteur préféré tout nu, avec sa guitare acoustique et ses mots. Quant on connaît le talent de songwriter et la capacité d'interprétation du bonhomme, on ne se fait pas de soucis quand il décide de sortir un album aussi intimiste et épuré. Sans surprises, cette œuvre est superbe.

  • Push The Sky Away, NICK CAVE AND THE BAD SEEDS, Bad Seed Ltd, 2013 : Petit clin d'oeil au retour récent de Nick Cave et de ses mauvaises graines. Après la parenthèse Grinderman noise/rock qui n'est pas sans rappeler certains morceaux de The Drones, les australiens reviennent avec un très bel album empli de classe mais pas dénué de fragilité. Il s'agit peut être là de l'album le plus calme et introverti du groupe. L'ambiance crépusculaire qui traverse les ballades de cette œuvre est à tomber, la voix du songwriter, toujours habitée. Belle réussite!


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