Rap français : suite! Un an et
demi après vous avoir chroniqué l'excellent album de Zone
Libre et ses compères, c'est dans ce même esprit de fusion
que m'est apparue une œuvre inattendue, spontanée, brute, écorchée.
D'ailleurs doit-on encore parler de rap ici ? De la chanson, de
la poésie, du rock, de la noise, du hip-hop, Psykick
Lyrikah c'est un peu tout ça à la fois. Depuis ses débuts
en 2004, le collectif, qui gravite autour du parolier et poseur en
chef Arm, se distingue brillamment de la scène rap
française par une plume aiguisée, des instrumentations de grande
qualité mêlant les traditionnels sons et beats chers au rap avec
guitares électriques, cordes, piano et autres sonorités organiques.
Leurs albums se constituent alors autour de longues histoires sombres
et touchantes entrecoupées par des morceaux instrumentaux, tout ça
au sein d'un tout parfaitement cohérent. Intense ! Parmi ses
collaborateurs les plus illustres, on peut noter la participation de
Dominique A sur Vu d'ici ou
celle plus régulière d'Olivier Mellano, guitariste important de la
scène indépendante française ayant travaillé notamment avec ce
même Dominique A, Miossec ou encore Yann Tiersen.
C'est avec ce
sculpteur du son qu' Arm pose son flow ici. Une
guitare, une voix. Un album enregistré en trois heures qui « clame
haut et fort sa liberté, son indépendance et son envie d'en
découdre » précisent les protagonistes sur le bandcamp du
duo. Le ton est donné. Ceux qui ont eu la chance de se pencher sur
l'Acte, premier du nom, sorti en 2007, savent à quel point ce
projet, un peu à part dans la discographie du groupe, est intense.
Intense, c'est le mot qui revient et reviendra tout au long de cette
chronique. Si à l'époque la guitare était toujours mise au service
de superbes textes, ici elle est mise au même plan que les textes,
toujours aussi beaux. On notera aussi l'apparition de quelques beats
minimalistes judicieusement amenés en direct par Olivier Mellano par
un tour de magie dont lui seul a le secret. En effet pour avoir eu la
possibilité de le voir évoluer sur scène seul avec son projet Mellanoisescape, il m'avait alors subjugué par sa
capacité à mélanger le rythme, à superposer les boucles de
guitares jusqu'au klimax, à l'atteinte d'un magma sonore à la fois
étrange et évident. C'est ça aussi la noise ! Sur cet Acte
II, il reprend le même principe et laisse le chant à son
acolyte Arm. Les textes de ce dernier sont toujours
aussi intenses. Pour les amateurs du collectif, les paroles sont pour
la plupart déjà connues et ont déjà été aperçues sur d'autres
albums. Mais qu'importe, elles prennent ici une toute autre
dimension. Suffit d'écouter "Mes propres appuis" pour
s'en convaincre. Le résultat est donc détonnant. Si l'on pense
parfois à ce qu'ont fait récemment Zone Libre, Casey et B. James
("Tout s'oublie", "Un geste"), l’œuvre
reste singulière, un OVNI dans le paysage musical français. Le son
est brut, la guitare fuzze, le flow est trainant, agressif mais
toujours fier et digne. Parfois ses paroles sombres se noient dans un
mur sonore installé progressivement par le guitariste (''Nous
ne sommes pas perdus'', ''A l'origine''). Difficile
de respirer. On vous envoie en pleine face 34 minutes de rock sale,
de noise brute, d'histoires universelles et dont les mots pèsent
lourds, très lourds. Intense, encore une fois... Court mais
intense! Une bonne claque en somme!
Par cette
« deuxième parenthèse électrique du groupe […] le duo
Arm/Mellano radicalise sa charte » précise le site. Voilà qui
est bien résumé. Sans doute l'album le plus jusqu'au-boutiste du
collectif jusqu'à maintenant, premier acte compris. Alors amateurs
de rap, de rock, de noise, amateurs de découvertes, amoureux de la
langue française, passionnés des mots, friands de défouloir, de
sincérité et de liberté musicale, jetez-vous sur ce brulot.
Intense! Vous l'ai-je déjà dit?
Gagoun
Acte II en
trois mots : intense (donc), brut, poésie noise
En écoute intégrale et
en achat sur bandcamp (ne bénéficie que d'une sortie digitale) :
http://psykicklyrikah.bandcamp.com/
Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :
- Acte,
PSYKICK LYRIKAH, Idwet, 2007 :
Mêmes acteurs, même principe, ce premier acte pose à l'époque les
bases de l'album chroniqué ci-dessus. Moins radical, moins
« électrique » mais ô combien atypique et touchant, il
est aussi un album de chansons, un album où les textes sont mis en
valeurs. A cet égard je vous conseille vivement, outre l'album tout
entier, de poser une oreille sur ''Patience''.
Magnifique...
- Deux, LUFDBF, Acid Cobra, 2011 : en voici un autre album à part sorti ces derniers temps dans l'Hexagone. Si l'électricité noisy et la rage scandée de « Psykick Lyrikah » n'ont pas vraiment leur place dans l'univers des deux bisontins, on retrouve en revanche, dans cet album, un univers singulier, un réel amour des mots ciselés et un goût prononcé pour le son organique qui font de cette œuvre, une beauté à part au sein du monde musical français. Quelque part entre hip-hop/jazz groovy, slam touchant, rock indépendant, chanson française un brin provocante que n'aurait certainement pas renié Gainsbourg, Lufdbf crée ici une musique qui n'existait pas auparavant au sein d'un album concept de pas moins d'une heure absolument passionnante.
- Soigne tes blessures, MONSIEUR SAÏ, Milled Pavement Records, 2011 : Allez un dernier pour la route ! Et pas n'importe lequel : l'uppercut ! « Monsieur Saï » a de la rage en lui, beaucoup de rage. Et il le fait savoir. Le flow est incisif, précis, les instrus sont superbes, détaillées, dérangeantes, vrillées et toutes en fusion encore une fois. Entre efficacité et expérimentations, entre guitares, saxophones, claviers, piano, scratchs et beats qui tuent, le monsieur fait dans la poésie brute, parfois absurde, toujours concrète et terriblement réaliste. Critique sociale, introspection évitant les écueils, on rit jaune parfois, on s'énerve avec lui souvent, on pleure d'autres fois, on est scotché toujours. Un OVNI, encore un...
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