Sortir en juin un
album à l'artwork enneigé (une couche blanche sur des ruches, en
pleine forêt) rappelle d'emblée tout le j'en-foutisme dont fait
preuve Calvin Johnson depuis le début de sa carrière. Débutée
dans les années 80 avec les Cool Rays et surtout les Beat Happening,
on ne peut pas dire que le garçon soit de nature à se faire
remarquer (et en particulier par chez nous). Et c'est peu dire qu'au
delà du mini-culte entonné par ces derniers dès 1982 (la légende
veut que Kurt Cobain aie cité Jamboree, album de 1988, au
classement des albums préférés), une pelotée de collaborations de
rêve et d'amitiés (Built to Spill, Modest Mouse, Jon Spencer, The
Microphones...) et la co-création du défricheur K Records, Calvin
Johnson sait se faire discret. Depuis quelques temps le musicien
aimait à se retirer dans son fameux Dub Narcotic Studio d'Olympia,
pour produire les groupes de son label, mais également jouer au DJ
sous le nom de Selector Dub Narcotic, expérience solo dub-cradingue
(résidu de quelques très bons disques d'indie rock funky sortis en
groupe entre 1995 et 2003) avec laquelle il enregistre les Dub
Narcotic Disco Plate : une série de vinyles constitués en face A
d'un morceau inédit de copains, de Old Time Relijun à Mount Eerie,
en passant par Atlas Sound et Lake, et en face B d'une version
remixée par ses soins.
Visiblement atteint
d'un ténia musical, de démangeaisons post-carrière solo (2 albums
exclusivement sous le nom de Calvin Johnson en 2002 et 2005),
l'artiste retente l'aventure en groupe à partir de 2007 en compagnie
des Sons of the Soil pour une "compilation live de ses plus
grands tubes", puis en 2009 avec les Hive Dwellers. Quelques
tournées plus tard voici le premier album, principalement constitué de morceaux déjà bien rodés sur les routes : Hewn From the
Wilderness.
Une chose est sûre, c'est
que la nonchalance du rythme de ses sorties ("j'en fais beaucoup
mais je le montre peu") va de paire avec le semblant d'ennui
décélé dans sa grosse voix de crooner pantouflard (imaginez un
Sinatra ou un Anka, peignoir-charentaises et tas de vaisselle
négligemment accumulé) et tout le bancal de compositions qui ont
fait recette en terme de savoir-faire Lo-fi. Rien de bien nouveau à
priori : garage rock minimaliste, dégoulinant d'analogique, à
l'instabilité parfaite, l'impression de dégringolade potentiel à
chaque de coin de note. De quoi repousser les plus réticents face à
une relative carence en originalité qui cependant s'estompe au fil
de l'écoute. On reprend confiance le temps des histoires d'une
certaine Trudy ("A Woman Named Trudy"). La basse commence à
ronronner, à l'ancienne, et continue sur sa lancée avec un
"Tell-Tale Heart" dansant et rock'n'roll. Calvin Johnson se
lache et chatouille l'octave supérieure à force de petits cris.
"Get In" et son énumération de pathologies et caractères
divers et variés ("Antisocial", "Coward",
"Alcoholic", "Birth Defect", "Porn
Addict"...), réadaptation d'un single de 2010, n'est pas en
reste d'un certain groove. Nostalgique, mais en aucun cas morose, la
musique des Hive Dwellers respire parfois l'atmosphère de bals de
fin d'année d'antan à l'ambiance inégale ("Sitting Alone at a
Movies").
Hewn From the Wilderness est
encore une fois pour Calvin Johnson une façon de nous dire qu'il
fait ce qu'il veut et surtout ce qu'il sait faire de mieux, quitte à
ne pas trop l'ébruiter (la politique de K Records ne va pas vraiment
en faveur d'une précision exemplaire en matière de publication des
dates de sorties... au contraire de nombreux labels) mais également
une façon pour moi de revenir sur une de mes petites madeleines de
Proust musicale, un an après avoir parlé de ma fascination pour la
scène de Portland, Olympia, Anacortes & co, au moment de la
sortie de California Lite des Key Losers. Calvin Johnson
rules, K Records rules!
Riton
Hewn
From the Wilderness en trois mots : nonchalant,
nostalgique, rock'n'roll
Ecouter un extrait ("Get In"), dans une version live plus que décontractée : http://www.youtube.com/watch?v=3Pwb1vayrlQ
Si vous aimez cet album, vous aimerez peut-être :
- Black Candy, BEAT HAPPENING, Rough Trade, 1989 : Ce n'est vraiment pas pour rien que cet album est cité en référence dès qu'il est question des Beat Happening. L'album du culte par excellence, qui hantera non seulement toutes les sorties futures de Calvin Johnson (jusqu'à ce Hive Dwellers) mais aussi tout un tas d'artistes de l'époque, et un incontournable de la Lo-fi.
- The Rebels Not In, THE HALO BENDERS, K Records, 1998 : Association de Calvin Johnson et Doug Martsh (Built To Spill), parfait mélange des deux univers, bluffant d'énergie et ce dès l'ouverture par le dèsormais classique "Virginia Reel Around the Fountain" (que l'on retrouve transcendé dans sa version live de Built to Spill en 2000). Un "must have" comme on dit!
- Ouf of Your Mind, DUB NARCOTIC SOUND SYSTEM, K Records, 1998 : La facette B de Calvin Johnson, sa personnalité la plus funky, quand Dub Narcotic Sound System était encore un groupe à part entière. Groove et sur-saturation au menu! (A noter que l'année suivante ils rencontraient le Jon Spencer Blues Explosion pour le meilleur...et le meilleur)
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